L'Alcoran de Louis XIV

1695

Édition critique en ligne d'un pamphlet anti-Louis XIV

Dialogue des morts entre

Innocent XI

Pape

?

Mazarin

Cardinal

?

Rencontrant le cardinal Mazarin sur les bords du fleuve Styx, lui parle ainsi.
Mazarini, Mazarini, est-ce vous que je vois dans ces sombres lieux ? Ne me trompe-je point ? Non, c’est lui-même ! Le voici qui vient à moi.
Le voici qui vient à moi.Mise en place d’une toile de fond pour le dialogue qui se veut théâtral, notamment par les descriptions et les échanges stichomythiques.
Chi sei vostra signoria ? Qui êtes-vous ?
Il santissimo Padre Odescalchy, Innocentio XI.
O ! il patrone, Santissimo Padre Innocentio XI. O maraviglia ! ô merveilles ! Ma è egli vero ? mais est-il bien vrai ?
Si Signore, per certo.
Ha ! Santissimo et bénévole Padre Odescalchy, ben venuto ! Soyez 6donc le bienvenu, dans ces contrées noires. Il y a près de 30 ans que je vous attends, avec l’impatience du plus malheureux de tous les damnés.
Per Dio. Il s’est bien passé des choses à Rome depuis votre départ du bois de Vincennes, car Clement X
Clement XEmilio Bonaventura Altieri est élu Pape Clément X en 1670. Innocent XI lui succède en 1676.
que vous avez connu et qui était de vos bons amis, ayant laissé par sa mort la Chaire Apostolique vacante, je fus élu pour lui succéder sous le nom d’Innocent XI. Mais ce ne fut pas sans de grandes difficultés, par les cabales des cardinaux français
par les cabales des cardinaux françaisRéférence aux tentatives d’empêcher l'élection du Cardinal Odescalchy comme pape.
qui, prévoyant bien que j’aurais jusques au tombeau le cœur Italien
le cœur ItalienÉvocation du sentiment anti-italien présent en France depuis le seizième siècle, ravivé durant la Fronde par les mazarinades.
, firent rage contre moi. ma ripentimento; mais je les en ai bien faits repentir depuis. Enfin j’ai quitté7 Rome et laissé au prochain Conclave le soin de m’élire un successeur. Piaccia a Dio, que ce soit quelque homme de bien, et surtout ennemi de la France pour le bien de l’Église. Je n’en connais point de tous nos confrères de plus propre, ni de plus capable qu’Ottoboni.
qu’Ottoboni.Cardinal Pietro Vito Ottoboni (1610-1691) est devenu Pape Alexandre VIII le 6 octobre 1689 après la mort d’Innocent XI.
Je l’ai instruit de ce qu’il devait faire après ma mort, et même je l’ai recommandé aux cardinaux des factions italienne et espagnole. Ainsi je ne doute point qu’il ne soit élu, piaccia a Dio, Dieu le veuille pour le bien de la Chrétienté, car c’est uno huomo dà bene.Homme de bien
Je vous prie, qu’a-t-on dit de moi dans le monde, après mon départ ?
Ce que l’on a dit de vous ?8 que la France, pour laquelle vous vous êtes tué pour la rendre la plus puissante et la plus redoutable de toutes les monarchies avait enfin des grandes obligations à MessieursLes quatre Médecins qui l’ont traité. Guenaut, Valot, Brayer et des Fougerais qui vous ont dépêché dans ces bas lieux par leur opium et leur vin émétique.
leur vin émétique.Attesté - et contesté - dans les traités médicaux contemporains, ce vomitif est mentionné ici en tant que réminiscence moliéresque comique (Dom Juan, Acte III).
Et comme vous étiez à l'agonie et que la mort frappait à votre porte, les Parisiens de vos meilleurs amis disaient hautement que le Diable était au bois de Vincennes
le Diable était au bois de VincennesL’origine probable de cette remarque est une lettre datée du 4 mars 1661 de Guy Patin à Charles Spon : "ceux qui se plaignent ici du Cardinal Mazarin disent, que le Diable est au bois de Vincennes, mais qu’il se meurt." Ses Lettres choisies venaient d’être publiées en 1692.
où il se mourait. Si vous n’êtes pas content de cela, je vous apprendrai encore que l’on disait par toute la France qu’il y aurait eu plus de quatre jours che il Diavolo aurait emporté votre Éminence, mais qu’il ne savait par où la prendre per la fetore, tant elle puait.
tant elle puait.La puanteur du corps est signe d'immoralité
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O là, franchezzi rinegatores et maleditti ! Ô, ingrats que vous êtes ! Que seriez-vous devenus sans moi et sans les ruses Italiennes
les ruses ItaliennesLe machiavélisme. La légende noire du Cardinal constituée pendant la Fronde en a fait l'instigateur de cette doctrine officiellement honnie.
 ? Que n’ai-je pas fait pour rendre votre monarchie florissante et la porter au haut degré d’élévation auquel elle est parvenue ? Après la mort de Louix XIII, de glorieuse mémoire, l’on m’appelle en France. Le Cardinal de Richelieu me veut avoir à toute force, m'a chargé malgré moi des affaires du Royaume, d’un ministère aussi laborieux que l’était celui d’une Monarchie déchirée par mille factions et chancelante par des guerres civiles
des guerres civilesRéférence à la Fronde (1648-1652)
d’autant plus difficiles à étouffer qu’elles étaient fomentées par les premiers Princes du Sang et les plus grands Seigneurs du royaume.10 A-t-on jamais vu de plus pesant fardeau à porter que celui d’une Minorité aussi difficile à gouverner que l’a été celle d’un jeune prince dont la conduite m’avait été donnée ? d’une Reine Mère affligée et désolée par milles malheurs accablants, qui furent les funestes suites d’une mort aussi peu attendue que le fut celle de Louis XIII
celle de Louis XIIILouis XIII était mort le 14 mai 1643, à l’âge de 42, d’une maladie : la tuberculose, selon les médecins d’époque.
 ? Après cela les Français ingrats ont-ils sujet de me charger d’outrages et de malédictions ?
Ma piano et senza parole Mazarinò. Mais disons les choses sans emportement, Mazarin. Avez-vous oublié que nous sommes sur les bords du Styx, au milieu des vapeurs puantes et humides
au milieu des vapeurs puantes et humidesLa réaction rappelle au lecteur le lieu dans lequel se déroule ce dialogue
de ce fleuve infernal, contraires aux11 échauffements de bile ? Que direz-vous si je vous apprends les épitaphes que l’on fit après votre mort,
après votre mort,On sait d’une lettre de Guy Patin à Charles Spon datée du 5 avril 1661 qu’il circulait des épitaphes contre le feu cardinal : « Je rencontre quelquefois M. Gras qui se met en peine de savoir des épitaphes du Mazarin. Quelques-uns en ont déjà beaucoup, on dit qu’on en imprimera un recueil ».
pour immortaliser votre mémoire, et que l’on grava sur votre tombeau en lettres dorées ? Les voici.
Julius occubuit tandem ; res
mira tot inter
Carnifices, furem vix petuisse
Mori
MoriSource probable : la lettre de Guy Patin à André Falconet du 22 mars 1661. Patin attribue ces vers à François Du Monstier. Les Lettres choisies de Patin venait d’être publiées en 1692.
.
Autre.
Ci gît l’Eminence deuxième,
Dieu nous grade de la troisième.
Dieu nous grade de la troisième.Épitaphe apparamment célèbre: on la trouve consignée notamment dans le ms.3128 de la bibliothèque de l'Arsenal, f°16r et 255r ainsi que dans la lettre de Guy Patin à André Falconet du 9 mars 1661.

Enfin je n’aurais jamais fait, si je voulais rapporter tout le bien que l’on a dit de vous.12
Senza dubio, il faut avouer che le Franchezzi, sont une nation bien maudite et bien détestable.
Si Signore Mazarino, et je ne l’ai que trop éprouvé pendant les seize années de mon pontificat, car il se serait un gros volume des cruautés
un gros volume des cruautés Deuxième mention des conflits entre la monarchie et la papauté.
et des déplaisirs que la France m’a faits, mais je lui pardonne en bon chrétien.
Santissimo Padre Odescalchy, s’il fallait ajouter foi à tous les bruits désavantageux à notre réputation qui se répandent dans le monde, que n’a-t-on pas dit de votre Sainteté touchant le commerce qu’elle a entretenu avec la Reine Cristine
Reine Cristine
Christine de Suède. Célèbre pour ses aventures amoureuses et son refus du mariage. Elle fait scandale en vivant sous la protection du Pape et en étant proche de Molinos.En savoir plus…
, pendant le séjour qu’elle a fait à Rome. J’ai appris moi-même de la bouche de quelques-uns de nos Italiens qui en ont porté les premières nouvelles dans ces ténébreuses Contrées,
dans ces ténébreuses Contrées,Rappel du lieu du dialogue, afin de conserver sa théâtralité.
que ce n’était13 pas l’amour, ni le zèle que cette princesse avait pour la religion romaine qui lui échauffait le cœur, et qui l’avait porté à quitter la couronne et à la remettre entre les mains de Charles Gustave Prince Palatin,
Charles Gustave Prince Palatin,Il succès en 1654 à Christine de Suède, suite à l'abdication de cette denière. Portrait à rédiger
son cousin et son successeur, mais plutôt que les Suédois appréhendant que leurs femmes ne suivissent l’exemple
que leurs femmes ne suivissent l’exempleÀ l’époque, Christine de Suéde est connue - et critiquée - pour ses qualités "masculines."
impudique de cette princesse, l’obligèrent à descendre du trône, ce qui la porta à aller passer le reste de ses jours à Rome, dans la vue qu’elle avait que la luxure ne passant pas dans cette ville pour un vice mais seulement pour une galanterie, elle pouvait sans scandale satisfaire à ses plaisirs, ce qui fit dire à Pasquin,
Pasquin, Aussi appelée la statue parlante de Rome, en référence aux libelles qui y sont régulièrement accrochés. Nombre d'entre eux font l'éloge ou condamnet Christine de Suède en plusieurs langues dans les années 1654-56, suite à son abdication.
Regina Senza regno, Regina senza Vergogna, et Christina senza fede.
Regina Senza regno, Regina senza Vergogna, et Christina senza fede.La citation précise est : « Regina senza regno, Cristiana senza fede, e donna senza vergogna » (Reine sans règne, Christine sans foi, et dame sans honte).
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O ! la abominatione, O ! la malitia di Rinegatores. Ceux qui prononcent de semblables blasphèmes sont des insignes calomniateurs, dignes d’éprouver les plus terribles foudres du Vatican. C’est un fait reconnu de toute la terre, que cette pieuse reine se démit volontairement de la couronne en faveur de Charles Gustave, et qu’elle n’y fut portée que par un pur zèle de piété et de vénération qu’elle avait conçu pour la religion romaine. La vie exemplaire qu’elle a menée pendant tout le séjour qu’elle a fait à Rome en fait foi, et j’en ai été moi-même le témoin oculaire aussi bien que tous les cardinaux nos confrères. J’ajoûte à cela que depuis les premières années de ma jeunesse, que j’ai passé 15 dans les charges de la guerre, pour être élevé à la pourpre, je n’ai plus ressenti aucune des faiblesses humaines qui portent les hommes à des commerces criminels, outre que je puis dire sans vanité que la tempérance n’a pas été une des moindres vertus qui m’ont fait devenir le successeur de Clément X.
Quoi qu’il en soit, on nous l'a ainsi débité, et toute la cour infernale en est pleine. Outre cela on nous a voulu faire accroire que vous étiez devenu bon moliniste, quiétiste, et janséniste,
bon moliniste, quiétiste, et janséniste,Selon ses ennemis, Innocent XI aurait clandestinement protégé les adhérents à ces mouvances, malgré sa condamnation des trois doctrines dans des bulles papales et l’emprisonnement de Molinos (évoqué par le pape ci-dessous).
et que ces nouvelles sectes avaient si fort la vogue dans Rome qu’il y avait peu de nos cardinaux qui n’en fussent tachés, suivant l’exemple du chef de l’Église, à quoi16 j’ai d’autant plus aisément ajouté foi, que c’est Colbert qui me l’a appris. Il passa la barque de Caron en 1683. L’ayant rencontré sur le rivage du Styx, il m’apprit bien des choses surprenantes que j’avais ignorées.
Questo monstro, ce détestable maltôtier, l’horreur du genre humain et le fléau de sa nation, ne ferait-il pas mieux de se mêler des impôts dont il a ruiné la France
des impôts dont il a ruiné la FranceCritique topique de Colbert que l'on retrouve dans plusieurs pamphlets dans les années 1690 et 1700. Elle implique en général que la monarchie française a dégénéré en despotisme, système dans lequel les goûts arbitraires du chef imposent la politique.
que des affaires de Rome. Il suffit qu’il soit français pour être mon mortel ennemi. Michel Molinos Prêtre Espagnol, natif d’Aragon, s’était d’abord acquis dans Rome beaucoup de réputation par quelques ouvrages qu’il mit au jour et qui étaient comme les avant-coureurs de sa 17 doctrine pernicieuse, contenant soixante-huit propositions. Toute la Chrétienté sait les soins que je pris pour arrêter les progrès de cette hérésie naissante. Je la fis examiner dans la congrégation générale de l’Inquisition, où je fus présent avec tous les cardinaux. Et par le décret qui fut rendu le 28 d’août de l’année 1692, la doctrine de cet imposteur fut condamnée, comme hérétique, scandaleuse et blasphématoire. Je n’en demeurai pas là, car ayant fait saisir tous ses écrits et ses livres, je les fis bruler par la main du bourreau, et je lui fis abjurer publiquement ses erreurs sur un échafaud que je fis élever devant l’église des Dominicains. Ensuite de quoi cet infâme hérétique fut condamné à une prison perpétuelle où je l’ai fait croupir18 depuis l’année 1687 jusques en 1692 qui fut la dernière de sa vie. Il est vrai qu’il était temps d’étouffer cette hydre naissante, parce que tout Rome et toute l’Europe étaient à la veille de devenir quiétistes.
à la veille de devenir quiétistes.La remarque semble être mobilisée pour sa valeur polémique.
Et je m’étonne qu’ayant passé la barque il y a près de trois années, il n’ait point encore paru sur les bords du Styx. Je suis persuadé que si le pauvre Espagnol avait rencontré votre Eminence, il lui eût avoué que j’avais été son plus grand ennemi.
Si l’affaire est ainsi, on nous a débité faux. Mais que dira votre Sainteté pour se justifier du commerce qu’on veut qu’elle ait entretenu avec le docteur Arnaud et ses disciples. Toute la cour infernale en est si convaincue que l’on ne fait19 point de difficulté de vous appeler le père des Jansénistes.
le père des Jansénistes.Accusation courante de la part de la France : Innocent XI aurait été trop indulgent envers les jansénistes, ces derniers étant toujours suspectés de dissidence par le pouvoir.
Ces faux bruits qui ne partent que de la haine et de l’animosité que la France a conçue contre moi et qu’elle a affecté de faire éclater pendant tout le cours de mon pontificat, ne sont pas mieux fondés que lorsqu’on m’a voulu faire passer pour Moliniste et fauteur des hérétiques. Louis XIV a même voulu que je fusse à son égard
Louis XIV a même voulu que je fusse à son égard Encore une référence aux rapports monarchie-papauté.
plus méchant que Jules II ou que Grégoire IV qui voulait excommunier tous les évêques de France s’ils ne consentaient à ce qu’il se rendit arbitre des démêlés survenus entre Louis le Débonnaire et ses enfants. La France veut et a publié par toute la Chrétienté qu’au lieu d’empêcher le progrès des nouvelles20 opinions, j’ai entretenu, tout le temps que j’ai été assis sur la Chaire de S. Pierre, commerce avec tous ceux qui s’étaient déclarés ouvertement disciples de JanséniusArrêt de Parlement rendu en 1689., dont mes prédécesseurs ont condamné la Doctrine ; que je les ai même comblés de mes grâces, fait leur éloge, et que je me suis déclaré leur protecteur ; et que lorsqu’il s’est agi d’étouffer dans leur naissance les erreurs Quiètes, l’on m’a vu à cet égard dans une espèce d’assoupissement et de léthargie. Quoi qu’il en soit nos docteurs ultramontains sont bien persuadés du contraire. Et quant au reste, ce n’est pas à un prince temporel ni au fils aîné de l’Église
au fils aîné de l’Église C’est à dire, à Louis XIV.
de venir souiller dans le sein de sa mère les secrets du cœur du lieutenant de J. Christ.
lieutenant de J. Christ.Selon la théologie catholique, le pape est lieutenant de Jésus Christ.
Il n’en est21 responsable qu’à Dieu seul qui l'a revêtu d’une puissance et d’une autorité qui le met au-dessus de tous les Rois et Princes temporels.
Moi santissimo Padre Odescalchy, je vous prie, apprenez-moi quelque nouvelle qui me réjouisse un peu et qui me tire uno poco de la nigra melanconìa, et des peines infernales qui m’accablent
des peines infernales qui m’accablentPrésenter Mazarin condamné aux peines infernales réactive une image machiavélique – et donc satanique – du Cardinal qu'avait imposé la Fronde. Convoquer à nouveau cette image à la fin du siècle présente le règne de Louis XIV comme maudit dès l'origine.
et qui me tourmentent cruellement depuis l’espace de 29 années que j’ai quitté le bois de Vincennes.
Si ce qui se passe parmi les mortels est capable d’alléger vos souffrances, je consens de bon cœur à vous en faire le récit. Mais comme je n’ai que des choses funestes à vous dire, si vous n’étiez aussi bon machiavéliste que vous l’avez été,22 j’appréhenderais par là d’augmenter vos peines, bien loin de les adoucir. Mais comme les malheurs et les désordres de la vie humaine vous ont durci le cœur et que d’ailleurs, je ne vous rapporterai que des évènements dont vous avez été le principal ouvrier. Cette considération me fait espérer que vous ne seriez pas fâchés qu’on vous apprenne que les mémoires que vous avez laissés à la cour de France avant votre départ ont été exécutés de point en point.
ont été exécutés de point en point.Les deux répliques étendent le machiavélisme au roi de France. A la différence de la Fronde, qui condamnait le ministre et non le Roi, l’Alcoran fait du règne de Louis XIV le disciple du Cardinal. Le machiavélisme du règne apparaît ainsi prévu et mis en place délibérément.
Santissimo Padre, je suis dans une extrême impatience de vous entendre, et vous ne sauriez me faire un plus grand plaisir que de m’apprendre l’état auquel vous avez laissé la Monarchie que j’ai pris tant de soin d’élever et particolarmente23 figlio mio il Re che regna, qui a été mon élève, et pour lequel j’ai conservé et conserve encore des sentiments tous particuliers d’amour et de tendresse. Je suis persuadé que si la France ingrate me hait, Louis XIV m’aime. Il m’en a donné des marques si éclatantes dans les commencements de son règne qu’il n’a pas fait difficulté de m’embrasser mille et mille fois et de me dire de bouche avec toute la reconnaissance imaginable qu’après Dieu, il me devait la Couronne. Il m’appelait mio Padre et moi je l’appelais mio figlio. La Reine Marie Thérèse sa Mère, d’heureuse mémoire, en est le fidèle témoin ; Questo saputa Principessa, cette vertueuse Princesse, me faisait l’honneur de m’aimer,
me faisait l’honneur de m’aimer,Référence aux relations entre la reine et Mazarin, rumeur qui circulait pendant la Fronde. Voir par exemple Les Curieuses recherches faites sur la vie de Jules César(p. 12), mazarinade publiée en 1652.
et de me confier tous les secrets de son24 cœur. Ainsi, peu m’importe d’avoir encouru la haine des sujets,
peu m’importe d’avoir encouru la haine des sujets,Comportement que recommande le Prince de Machiavel.
, pourvu que je sois assuré de l’amour du prince.
Puisque vous le souhaitez, je vous dirai qu'en quittant Rome j’ai laissé toute l’Europe en feu par une cruelle guerre qui vient de s’y allumer, et dont vous avez jeté les premières semences par la conclusion de la paix des Pyrénées. Vous conclûtes comme vous savez cette paix en l’année 1659, et votre but fut de réconcilier les maisons d’Autriche et de Bourbon en terminant par là tous les différents qu’elles avaient ensemble et qui avaient donné lieu à plusieurs sanglantes guerres. Pour rendre cette paix plus auguste et plus inviolable, vous trouvâtes bon d’allier ces deux maisons, d’où25 s’ensuivit le mariage du Roi Très-Chrétien Louis XIV avec la Sérénissime Infante Dame Marie Thérèse, fille aînée du Roi Catholique. Ce contrat de mariage fut suivi d’une renonciation à tous les droits que la reine pouvait avoir sur les États du roi son père en cas de mort. Vous savez aussi que le traité de paix fut suivi d’un acte authentique de ratification de la part de S.M.T.C., conçu en ces termes. Que sa majesté s’étant fait lire de mot à autre ledit traité, elle avait celui en tous et chacun ses points et articles agréé, approuvé et ratifié par ces présentes signées de sa propre main, promettant en bonne foi et parole de roi, de l’accomplir, faire, garder et entretenir inviolablement, sans jamais aller ni venir au contraire directement, ni26 indirectement, en quelque sorte et manière que ce fut, car tel était son bon plaisir.
car tel était son bon plaisir.Langage type des traités.
Voilà en abrégé ce qui est aujourd’hui le fondement des malheurs qui bouleversent l’Europe et dont on vous fait le principal auteur.
Quale ingiustitia ! Quelle injustice ! ma in quale maniera, mais en quelle manière, et qu’ai-je donc fait ?
Ce que votre Éminence a fait ? Elle a attiré la haine et la malédiction de toutes les autres nations sur les Italiens, qui sont considérés à présent comme les plus grands fourbes et les plus méchants hommes, qu’il y ait dans le reste de l’Univers.
dans le reste de l’Univers.Innocent vise évidemment le machiavélisme de Mazarin.
Mais comment cela ? et sur quoi sont fondé tant de cruels outrages ?27
Comment ? 1. En ce que par vos réserves mentales vous avez porté le Prince dont vous étiez régent et qui était sous votre tutelle à ne rien tenir de tout ce qu’il avait promis 2. en ce qu’il n’y a pas un seul article dans le traité que vous veniez de conclure, dans lequel vous n’ayez fait entrer une des pernicieuses maximes du détestable Machiavel, pour lequel vous avez inspiré à votre monarque dès sa plus tendre jeunesse autant de vénération que les Turcs en ont pour l’Alcoran et pour leur grand prophète Mahomet. Les ayant même dressées en forme de catéchisme, vous les lui aviez fait apprendre par cœur, et vous lui en faisiez faire la répétition de temps en temps, ainsi qui suit.
ainsi qui suit.C’est à cette occasion que s’explique le titre de l’ouvrage. La réplique synthétise le projet du pamphlet : démontrer que le roi soi-disant “Très Chrétien” est en réalité un disciple de Machiavel. Parler de l’Alcoran souligne l’impiété de l’éducation reçue par le Roi et fait référence à ses alliances avec la Sublime Porte pour diminuer le pouvoir de l’empire d’Autriche. L’ensemble des propos ne sont pas tirés de Machiavel, mais du pamphlet protestant Anti-Machiavel (1576) d’Innocent Gentillet. Gentillet organise sa critique de Machiavel autour d’une réfutation systématique des maximes prétendument soutenues par le philosophe florentin. Notre pamphlétaire les réorganise dans un catéchisme.
28
L’ALCORAN DE LOUIS XIV.
OU
Le Testament Politique du C. Jules Mazarin, réduit en forme de Catéchisme.

Louis XIV

Roi de France

Demande.
Demande.Les catéchismes romains traditionnels s’organisent sous la forme de “demandes” des questions religieuses. On peut en voir un exemple dans cette édition contemporaine du diocèse de Meaux.
Figlio mio, en qui croyez-vous ?
en qui croyez-vous ?Cette question se retrouve comme telle dans certains catéchismes. Les questions qui suivent sont adaptées afin de faire réciter les passages les plus impies de Machiavel. Présenter Mazarin comme maître rappelle son rôle comme “surintendant de l’éducation royale.” Le texte reprend également une tradition pamphlétaire qui exploite le format du catéchisme pour blâmer le cardinal d’avoir corrompu le jeune roi.
En Nicolas Machiavel, secrétaire et citoyen de Florence.
Qui était ce Nicolas Machiavel?
Le Père des Politiques, et celui qui a appris aux princes l’art de bien régner.29
Buono, fort bien. Que doit premièrement savoir faire un prince?
Chap. 18 du Prince.Un Prince doit sur toutes choses savoir affecter d’être estimé dévot bien qu’il ne le soit pas.
Que doit savoir un prince en fait de religion ?
Discours li I. Ch. 12, 13, 14.Le Prince doit savoir soutenir ce qui est faux
soutenir ce qui est fauxCe système de référence docte assoit l’exactitude de ses citations qui doivent choquer le lecteur par leurs impiétés. Elles révèlent que le pamphlétaire se base sur l’Anti-Machiavelde Gentillet plutôt que sur le texte de Machiavel lui-même. Le pamphlétaire reprend ici en effet la même citation que Gentillet.
dans la Religion pourvu que cela tourne à son avantage.
Que devint le monde quand on abandonna la religion payenne ?
Discours li I. Ch. 12.Quand on délaissa la religion payenne, le monde devint tout corrompu, et ne craignit plus ni Dieu, ni Diable.
Qu’a causé la religion romaine ?
Discours liv. I. Ch. 12.L’Église Romaine est cause de toutes les calamités d’Italie.30
Comment Moïse s’est-il fait obéir ?
Chap. 9 du Prince.Par les armes, et il n’aurait jamais pû faire observer ses ordonnances
faire observer ses ordonnancesLa politique belliqueuse de Louis XIV que vise particulièrement ce pamphlet se trouve scandaleusement justifiée par ce sophisme.
autrement.
Par quelle voie Moïse fit-il ses conquêtes ?
Discours li 2. Ch. 8.Par l’usurpation, car il usurpa la Judée comme les Goths usurpèrent une partie de l’Empire Romain.
Que doit faire un prince pour être toujours en guerre ?
Discours li 3. Ch. 32.Pour faire qu’un prince ait lien de ne point faire de paix avec ses ennemis, il faut qu’il use à leur égard de quelque outrage sanglant.
Quelle doit être la politique d’un prince à l’égard d’un pays nouvellement conquis ?31
Chap. 3 du Prince.Le prince, dans un pays nouvellement conquis, doit abattre ceux qui souffrent les plus dans la révolution qui a été faite, et exterminer le sang et la race de ceux qui auparavant y dominaient.
Que faut-il faire pour tirer vengeance d’un pays ?
Disco li I. Ch. 55 et 2. Ch. 19.Pour se venger d’un pays ou d’une ville sans coup férir, il faut la remplir de méchantes mœurs.
Les princes doivent-ils oublier les offenses ?
Chapitre 7 du Prince Discours li. 3. Ch. 4.Nò Signore.
Quel est le modèle qu’il faut se proposer à imiter ?
SS. Chap. 24 du Prince.Le prince se doit proposer à imiter César BorgiaFils bâtard d’Alexandre VI. fils du Pape Alexandre VI.32
Que doit faire le prince pour se faire obéir ?
Chap. 17 du Prince.Le prince ne se doit point soucier de passer pour cruel, pourvu qu’il se fasse obéir.
Qu’importe plus à un prince ?
Chap. 17 du Prince.Il vaut mieux à un prince d’être craint qu’aimé.
Le prince doit-il faire fonds sur l’amitié de ses peuples ?
Chap. 17 du Prince.No signore. Non, car le prince ne se doit point fier à l’amitié des hommes.
De quelle ruse se faut-il servir lorsqu’il s’agit de se défaire de quelqu’un ?
Chap. 17 du Prince.Le prince qui veut faire mourir quelqu’un doit chercher quelque raison apparente et n’en sera 33 blamé, pourvu qu’il laisse les biens aux enfants.
La cruauté est-elle louable à un Prince ?
Discours. Liv. I. Chap. Si Signore, car la cruauté qui tend à bonne fin n’est point blâmable.
Comment faut-il qu’un prince se conduise en matière de cruauté ?
Chap. 17 du Prince.Il faut qu’un prince exerce cruauté tout à un coup et la clémence peu à peu.
Que doit imiter le Prince.
Chap. 18, 10 du Prince.Le prince doit imiter le naturel du lion et du renard, et ne point pratiquer l’un sans l’autre.
Quelle est la conduite que doit tenir un habile tyran ?
Discours 2. Chap. 2. liv. 3. Chap. 30. Un habile tyran, pour soutenir34 sa tyrannie, doit entretenir la division parmi ses sujets et faire mourir les amateurs du bien public.
Qu’est-ce qui fait plus estimer le prince, la vertu ou le vice ?
Chap. 19 du Prince.Un prince peut aussi bien être haï par ses vertus que par ses vices.
Que doit encore pratiquer le prince ?
Chap. 20 du Prince.Le prince doit toujours affecter de se faire quelque ennemi, afin que venant à l’opprimer, il en soit estimé plus grand et plus redoutable.
Un prince doit-il faire conscience de tromper et de manquer de foi ?
Discours. li.2. Ch. 13 et Ch 18 du Prince.Un prince ne doit point faire scrupule de se parjurer, de tromper ou d’user de dissimulation parce que celui qui veut tromper trouve toujours qu’un qui se laisse tromper.
Qu’est-il encore nécessaire, de savoir35 pour bien pratiquer cette maxime ?
Discours liv. I. ch. 42 et 18 du Prince.Le Prince doit bien étudier l’esprit des hommes, pour les savoir tromper.
Est-il nécessaire à un prince d’être doux et humain ?
Discours liv. I. ch. 32.Non, car le prince qui usera de douceur et d’humanité avancera sa ruine.
Le prince doit-il observer la foi ?
Chap. 18 du Prince, Discours l. 3, ch. 42.Le prince qui est prudent ne doit point observer la foi quand l’observation lui en est désavantageuse et que les occasions qui la lui ont fait promettre sont passés.
Faut-il qu’un prince soit fidele, clément et libéral ?
Chap. 18 du Prince.No signore, car la foi, la clémence, et la libéralité sont des vertus 36 fort préjudiciables à un prince. Mais il est bon qu’il fasse seulement semblant de les avoir.
Que doit savoir encore le prince pour bien régner ?
Discours Pol. liv. 2 ch. 9.Le prince doit avoir l’esprit adroitement habitué à la cruauté, l’inhumanité et la perfidie, afin qu’il se montre tel quand il est besoin.
Que doit faire le prince quand il veut rompre la paix.
Le prince qui veut rompre la paix qu’il a promise et jurée à ses voisins doit fomenter la division et déclarer la guerre à leurs alliés.
Qu’est-il encore nécessaire au èrince pour savoir s’accommoder au temps ?
Chap. 18 et 25 du Prince.Le prince doit avoir le cœur disposé à tourner selon les vents et les changements de la fortune, et se savoir37 servir du vice au besoin.
L’avarice est-elle méprisable en un prince ?
Chap. 8 et 16 du Prince.Bien loin de là, qu’elle est louable, et la réputation d’être chiche est un déshonneur peu capable de lui nuire.
Faut-il que le prince fasse profession d’être homme de bien ?
Chap. 15 du Prince.Nò Signore, car le prince qui voudrait faire profession d’homme de bien ne pourrait être de longue durée dans ce monde en la compagnie de tant d’autres qui ne valent rien.
Comment le prince doit il se comporter pour bien pratiquer cette maxime ?
Discours l. I c. 42.Celui qui a toujours porté le caractère d’homme de bien et qui veut devenir méchant, pour parvenir à ses desseins doit colorer son 38 changement de quelque raison apparente.
Que doit pratiquer le prince pour tenir ses sujets dans la soumission ?
Chap. 20 du Prince.Le prince qui en temps de paix entretiendra la division parmi ses sujets pourra par ce moyen en faire ce qu’il voudra.
Les guerres civiles sont-elles utiles ?
Discours liv. I. c. 4.Les dissensions et les guerres civiles sont utiles, et ne sont point à blâmer.
Quel est le moyen qui peut entretenir les sujets dans une parfaite union ?
Discours liv. I. c. 2., liv 2. ch. 7. liv. 3. ch. 16 & 27.Le moyen d’entretenir des sujets en paix et en union et de prévenir les révoltes et les guerres civiles est de les tenir dans la pauvreté.39
Que doit faire le prince pour s’assurer de ses sujets ?
Discours liv. 2 ch. 24 et 20 du Prince.Le prince qui craint ses sujets doit bâtir des forteresses dans ses États pour les tenir dans l’obéissance.
A qui est-ce que le prince doit avoir plus de confiance ?
Chap. 7 & 14 du Prince.Le prince doit confier aux étrangers l’administration de ses affaires et se réserver ceux dont la fortune dépend de ses bienfaits.
Que doit faire le prince pour avoir bonne justice ?
Discours liv. I. ch. 7. Pour administrer bonne justice, le Prince doit établir grand nombre de juges.
Que faut-il faire pour tenir la noblesse de France dans la soumission
dans la soumissionSujet d'actualité pour le public de l’époque, qui fait référence à la politique d’asservissement de la noblesse en cours depuis la Fronde. Son traitement est courant par les pamphlétaire contemporains, souvent financés par des partis dissidents. Voir par exemple le 1er mémoire des Soupirs de la France Esclave (1689-90)
?40
Discours liv. 3. ch. 12.La noblesse de France ruinerait le royaume si les parlements ne la punissaient, et ne la tenaient en bride.
Ne faut-il pas que le prince se rende maître de l’autorité des cours souveraines et des parlements s’il veut être absolu dans son Royaume ?
Si Signore.
N’est-il pas permis à un prince pour s’agrandir de s’allier avec les Infidèles
s’allier avec les InfidèlesRéférence à l’alliance de Louis XIV avec la Sublime Porte pour affaiblir les Habsbourg. Mazarin est ainsi présenté comme l’instigateur de toutes les décisions politiques du roi.
à la ruine de tous les autres princes chrétiens ?
Si Signore.
Figlio mio, molto bene et con giudicio ragiona ; mon fils, c’est fort bien et sagement répondu. Ricorda questo sempre ?
Si Signore.

Innocent XI

Pape

Voilà les détestables principes que vous avez donnés à ce jeune prince41 et le modèle sur lequel vous avez formé le fils ainé de l’Eglise. Et ce n’est pas une chose étonnante si après cela il a attaqué le St. Siège, l'a dépouillé des droits et des prérogatives dont il a joui depuis tant d’années sous les règnes de ses prédécesseurs de glorieuse mémoire. On ne dira pas aujourd’hui de Louis XIV ce que l’on a dit de Pépin et de Charlemagne
de Pépin et de CharlemagneDeux figures unanimement perçues comme positives, dont l'évocation doit faire ressortir la noirceur de Louis XIV.
, que ces princes ont comblé nos papes de bienfaits, qu’ils les ont affranchis de l’esclavage des empereurs de Constantinople, des exarques de Ravennes et des rois des Lombards qui les persécutaient cruellement, les détenaient dans des prisons ou les envoyaient en exil, jusque là que nous tenons aujourd’hui de leur libéralité le patrimoine de St. Pierre. N’aurait-il pas mieux valu, au lieu d’un Machiavel, faire lire à votre élève un Philippes de Commines qui mérite le titre de prince des historiens et dont les instructions sont si importantes que tous les rois et les princes les devraient apprendre par cœur, suivant le conseil que le savant Lipse donne à son prince en42 l’éloge qu’il a fait à cet autre Polybe
cet autre PolybeCette comparaison est topique.
. Car c’est à cet historien Grec qu’il le compare V. Notas ad lib I Politic.at princeps noster, dit-il hunc legito, & Enchiridium Cominoeus illi esto ; Dignus Alexandrit omnibus hic Phillipus. Mais le St. Siege ne s’est pas seulement ressenti des maux dont cette mauvaise éducation a été suivie. Toute l’Europe, tous les princes, tous les états souverains et toutes les républiques y ont eu part comme nous le ferons voir dans la suite.
Avant que de passer outre, nous tracerons ici le modèle sur lequel vous deviez former votre jeune monarchique, bien différent de celui sur lequel vous l’avez formé, ainsi que nous venons de le voir par la lecture de votre testament politique.
La première chose que vous deviez donc faire pour bien instruire votre prince était de lui insinuer d’abord de bonnes maximes et de les fortifier par des bons exemples. Ainsi au lieu de lui faire lire un Machiavel, il fallait l’attacher à la lecture de l’évangile comme dit In institutione Principis Christiani.Erasme,43 car celle-ci est la première et la principale, où tout bon Chrétien se doit appliquer, et encore plus les princes que les autres hommes puisque c’est à eux à donner à leurs sujets des exemples de piété et de vertu. Après cette lecture qui est le premier pas que doivent faire les princes, vous lui auriez pu donner quantité d’autres auteurs graves et sérieux tant anciens que modernes dont il aurait pu titrer plusieurs maximes et instructions importantes pour rendre son règne heureux et son royaume florissant, comme la lecture des livres de Platon, des Politiques d’Aristote, des Offices de Cicéron, de œuvres de Sénèque, des Apophtegmes et des Morales de Plutarque, et suivant l’avis de Messire Claude deMonarch. Fr. part. 2. Ch. 2. Seyssel, la Cyropedie de Xénophon, de l'oraison de Cicéron en la louange de Pompée, du panégyrique de Trajan fait par Pline, du Prince attribué à St. Thomas d’Aquin, d’Egidius de Rome, et surtout de Philippes de Commines, le prince des historiens français, ainsi que nous l’avons déjà dit.
ainsi que nous l’avons déjà dit.Cette première liste reprend en grande partie le plan d’étude proposé par le savant Grotius.
44
Mais quoi qu’un prince lise de bons Auteurs, il doit encore se souvenir soigneusement du bon et sage avis qu’Erasme donne à son prince, savoir, qu’il se propose plutôt de garder les bons préceptes politiques, et les actions morales des hommes vertueux dont il est parlé dans les livres que de vouloir imiter les exploits militaires d’un Achille, d’un Xerxes, d’un Cyrus, d’un Darius, d’un Alexandre et de plusieurs autres semblables que Sénèque appelle quelque part magnos et furioso latrones, comme Lib. 4 de Civit. Dei. C. 4. St. Augustin appelle les royaumes sans justice, magna latrocinia.
magna latrocinia.Le dernier paragraphe est une reprise, à deux mots près, d’une mazarinade tardive, le Recueil des maximes et véritables et importantes, publiée en 1653.
Après avoir ainsi insinué des bonnes maximes à votre jeune prince par la lecture des bons auteurs, vous deviez lui proposer l’exemple des sages princes qui ont régné et qui ont été l’amour et les délices de leurs peuples, comme un Salomon, un Auguste, un S. Louis, et un grand nombre d’autres. Nous ajouterons enfin que pour former un bon et sage prince, il faut nécessairement lui donner trois freins qui tiennent en45 bride son autorité et sa puissance, savoir, la religion, la justice et la police. Quand un prince réglera toute sa conduite sur ces trois grands modèles, il est certain qu’il sera bon sage et aimé de ses sujets. C’est là le sentiment de Monsieur Claude de Seyssel
Claude de Seysselca. 1450-1517. Evêque de Marseilles, écrivain, traducteur, mais surtout, conseiller et ambassadeur de Louis XII, figure d’une monarchie modérée que l’auteur oppose à Louis XIV.
, dans sa Monarch. Fr. part. 2. Chap. IIMonarchie dédiée au roi François I. Voici ses propres termes, Touchant les trois freins dont j’ai parlé, par lesquels la puissance absolue du prince et monarchique (laquelle est appelée tyrannique, quand l’on en use contre raison) est refrénée et réduite à civilité, et par ainsi est réputée juste et tolérable, et aristocratique. Je dis derechef que le roi ne peut faire chose plus agréable à Dieu, plus plaisant et plus profitable à ses sujets, ni plus honorable et louable à lui-même que d’entretenir lesdites trois choses par lesquelles il acquiert nom de bon roi, de Très-Chrétien, de père du peuple, de bien aimé, et tous autres titres que peut acquérir un vaillant et glorieux prince. Et par le contraire, dès qu’il se dévoie desdites trois limites et veut user de volonté désordonnée, il est tenu et 46 réputé mauvais tyran, et de cruel et intolérable, dont il acquiert la haine de Dieu et de ses sujets.
Chap. 17.Et dans un autre endroit il ajoute, Le Roi et Monarque connaissant que, par le moyen des lois et ordonnances et louables coutumes de France concernant la police, le royaume est parvenu à telle gloire, grandeur et puissance que l’on voit, et se conserve et entretient en paix prospérité et réputation, les doit garder et faire observer les plus qu’il peut, attendu mêmement qu’il est astreint par le serment qu’il a fait à son couronnement de ce faire. Par quoi, faisant le contraire, offense Dieu et blesse sa conscience, et si acquiert la haine et malveillance de son peuple, et outre ce, affaiblit sa force et par conséquent diminue sa gloire et sa renommée.
Si vous aviez donné de tels principes à votre jeune monarque, notre nation ultramontaine ne se verrait pas aujourd’hui dans l’opprobre et le mépris par les sanglants outrages dont les Français chargent tous nos pauvres Italiens, qu’ils font passer pour les plus grands larrons qu’il y ait 47 dans le reste de l’Univers. Ils nous accusent d’avoir ruiné la France, d’avoir réduit ses peuples à la besace par le transport de leur or et de leur argent
leur or et de leur argentActualisation d’un lieu commun sur les italiens, banquiers de l’Europe.
en Italie. Je demande à votre Éminence qui est responsable de tant de calomnies ? À qui doit-on faire ce reproche, si ce n’est à elle seule comme à l’unique ouvrière de tant de nouveautés
nouveautésSens péjoratif.
qu’elle a mis en lumière pendant le temps de son Ministère.
Per Dio, qui sont donc ceux là qui accusent nos Italiens de larcin ?
Tutti le Franchezzi. Car ils disent hautement que si leur roi avait suivi l’exemple de Philippe de Valois, lequel au rapport de En ses Annales de France Fol. 163 de l’édition de 1562. Voyez aussi la Chronique des Rois de France imprimée in 8. en 1550 fol. 71.Nicolas Gilles, par un édit exprès de l’année 1347, bannit de la France tous les Italiens comme larrons et expilateurs du bien public, ils ne se verraient pas aujourd’hui accablés de misère et de pauvreté comme ils le sont. Voici les propres termes de cet historien:48
En ce temps furent pris tous les Lombards, banquiers et usuriers qui étaient en France, et furent chassés et bannis du royaume pour la grande évacuation qu’ils faisaient des finances dont le royaume était appauvri. Et par procès fait contre eux, fut ordonné que quiconque serait tenu envers eux en aucune usure, en baillant au roi le sort principal, ils ne paieraient rien des arrérages. Ensuite il ajoûte : et qui serait de présent ainsi, ce serait bienfait, car ils font beaucoup du mal en France. Quand ils y viennent, jamais n’y apportent un ducat, mais seulement une feuille de papier en une main et une plume en l’autre, et ainsi tondent aux Français la laine sur le dos, et leur font gabelle de leur propre argent. Il fut lors trouvé que les dettes qu’on leur devait, montaient outre vingt quatre cent mille livres d’usures, desquelles le sort principal ne montait point outre douze vingt mille livres. Que dit votre Eminence de ce portrait à l’Italienne ?
Molto somigliante.
Molto somigliante.Très semblable.
Qu’il est assez ressemblant ; mais aussi que nous sommes malheureux, d’obliger des49 ingrats qui nous chargent d’outrages et de malédictions, après nous être sacrifiés pour leur rendre service.
leur rendre service.Durant la Fronde, Mazarin a toujours prétendu qu’il était tout entier au service du roi et de la France.
N’aurait-il donc pas mieux valu que votre Eminence ne fut jamais sortie de Lieu de sa naissance.Piscina ou de l’Abruzze, que de se voir aujourd’hui la maledictione de tutti le Franchezzi et de tutti le altri poploi de la Christianità, qui l’accusent de tous les malheurs arrivés dans le monde depuis l’espace de 45, par la mauvaise éducation que vous avez donnée au fils aîné de l’Eglise ?
Ma per Dio, qu’est-il dont arrivé ?
Per Dio, da questo procede che, il est arrivé qu’à peine vous aviez quitté le monde que ce jeune prince, l’esprit rempli de vos détestables maximes, commença de les mettre en pratique en l’année 1661 par la querelle survenue à Londres entre les ambassadeurs des deux Couronnes, au sujet du pas que le Comte d’Estrades disputait au Baron de Batteville,
au sujet du pas que le Comte d’Estrades disputait au Baron de Batteville, Référence à l’affaire de la préséance de 1661, qui s’est déroulée à Londres cinq mois après la mort de Mazarin.
50 à l’entrée de l’Ambassadeur de Suède. Cette affaire fut soutenue avec tant de hauteur de la part du Roi T. C. que si le Roi Catholique s’était obstiné à ne vouloir pas relâcher de ses droits, par la satisfaction
par la satisfactionBlabla
qu’il lui en fit faire, cela seul était capable de rallumer la guerre entre les deux Maisons. N’était-ce pas là un beau sujet de guerre ?
Ridiculoso,j’avoue que le jeu n’en valait pas la chandelle, et que le Roi T.C. n’avait pas raisons d'en agir ainsi.
d'en agir ainsi.Second mouvement argumentatif du pamphlet : Mazarin n’appuie même plus la politique de Louis XIV. Celui-ci apparaît donc tantôt ridicule, tantôt plus vil encore que le machiavélique cardinal.
Passons plus avant. Ce prince ayant bâti sur vos principes et sur vos maximes une ambition démesurée de s’agrandir à quel prix que ce fut, trouva le moyen en l’an 1662 de dépouiller le duc de Lorraine
le duc de Lorraine
Le Duc de Lorraine blablablabla
de ses Duchés de Lorraine et de Bar, par une cession que ce pauvre prince fut obligé de lui en faire, et cela au préjudice des traités de Munster et des Pyrénnées, où tous les différends qui étaient entre ce Duc et le Roi T.C. avaient été vidés et terminés
vidés et terminésRéférence au traité signé le 6 février 1662 entre Charles de Lorraine et Louis XIV et qui incorpore le duché de Lorraine au royaume de France.
.
51
Si cela est ainsi, je conviens qu’il y a eu de la mauvaise foi de la part du Roi T.C. et qu’il n’a pas pu sans injustice priver le Prince Charles, neveu du duc de la succession de son oncle, attendu que nous avions terminé toutes choses au traité des Pyrénnées d’une manière qu’il ne restait pas la moindre difficulté.
Cependant le prince Nicolas Français pieno di rabbia, outré de cet injuste attentat, fit voir à S.M. par plusieurs raisons solides que le transport fait par son frère était de nulle valeur. En premier lieu, parce qu'en égard à la loi salique, les duchés de Lorraine et de Bar étaient inaliénables et que si l’on avait d’ailleurs égard au testament de René, roi de Sicile et duc de Lorraine, par lequel ses états avaient été substitués de mâles en mâles, il en fallait inférer que le possesseur n’en pourrait avoir que l’usufruit et que par conséquent, le duc de Lorraine n’avait pas été en droit de les aliéner. Que d’ailleurs, si l’on considérait le droit des femmes confirmé par l’exemple52 de la duchesse Nicole aux états de laquelle le duc son mari avait succédé, les duchés du duc de Lorraine devaient revenir en la possession du prince Charles comme à l’unique héritier de cette Princesse. Mais toutes ces raisons furent inutiles.
Mais toutes ces raisons furent inutiles.Ce paragraphe reprend quasiment au terme près différents points des “Remontrances de Monsieur le Duc François de Lorraine au roi très chrétien” dans l’Histoire du traité de la paix conclu sur la frontière espagnole… [avec] aussi un recueil de diverses matières concernant le duc de Lorraine, Cologne, Pierre de la Place, 1665, p. 36-42.
Il Re Ludovico LXIV figlio mio, pourrait répondre à tout ce que votre Sainteté vient d’avancer pour prouver l’inaliénation des duchés de Lorraine et de Bar, qu’ils n’ont jamais reconnu la loi salique et que pour ce qui regarde la substitution du roi de Sicile de mâle en mâle, elle était à l’avantage des rois de France, parce que Charles d’Anjou successeur et neveu de René n’ayant point eu d’enfants, constitua Louis XI et Charles XIII ses héritiers, et que par conséquent Louis XIII et Louis XIV son fils ont eu droit d’y succéder. Qu’à l’égard des femmes, après avoir établi la succession des mâles toute seule, ce raisonnement ne subsiste plus.
ce raisonnement ne subsiste plus.Retrouver la source de cette réponse
Toutes ces raisons ne sont point capables 53 de justifier la perfidia del Re Christianissimo, la mauvaise foi du Roi T.C. dans cette affaire. A moins qu’on ne veuille dire par raillerie, que l’honneur que sa Majesté faisait aux ducs de Lorraine d’être considérés à l’avenir comme princes du Sang de France, valait bien le transport que le pauvre duc lui faisait de ses états
le pauvre duc lui faisait de ses étatsHugues de Lionne, principal artisan de ce rapprochement, avait en effet fait de cette clause l’une des compensations pour la cessation de la Lorraine. Si Charles de Lorraine n’y fut pas immédiatement sensible,les princes lorrains y trouvèrent un vrai sujet de consolation. De fait, la clause n’a rien d’anodin, puisqu’elle permet potentiellement à un duc de Lorraine de devenir roi de France.
; ainsi voilà la question vidée. Mais que dira votre Éminence de la hauteur avec laquelle ce jeune monarque traita la cour romaine en l’année 1664 au sujet de la pyramide qui fut élevée dans Rome vis-à-vis du corps de garde des Corses avec une inscription infâme, qui sera un monument eternel d’ignominie et de flétrissure pour le S. Siège, que les siècles à venir n’effaceront jamais
que les siècles à venir n’effaceront jamaisSuite à plusieurs meurtres du 20 août 1662 causés par les gardes corses à Rome à l’encontre de la famille de Créqui, ambassadeur à Rome, Louis XIV obtient du Pape Alexandre VII au traité de Pise en 1664 la dissolution de sa Garde Corse ainsi que l’érection d’une pyramide noire sur leur ancienne caserne avec l’inscription “Pyramide élevée en punition de l’attentat des Corses”. Il frappe également une médaille commémorative. Toutefois, la pyramide sera détruite quatre ans plus tard sous Clément IX et Louis XIV fera frapper une médaille mettant fin à l’événement, ce que l’auteur veille à soin de ne pas rappeler pour rendre l’orgueil français plus palpable.
et cela, pour un démêlé survenu entre les domestiques du Duc de Créqui, ambassadeur extraordinaire pour le roi à Rome et quelques soldats Corses où l’on sait de bonne part que les Français avaient eu tout le tort. Ce prince, qui avait si bien appris par cœur son Machiavel, ne se servit-il pas de cette occasion pour s’emparer d’Avignon
pour s’emparer d’AvignonLe roi occupe Avignon entre 1663 et 1664 pour faire pression sur Alexandre VII, mais lui rend la ville avec le traité de Pise. En réalité, l'auteur instrumentalise ici un complexe jeu d’alliance des élites avignonnaises avec la France et l’Italie (voir Patrick Fournier : “Effacer la limite”, Les Société de frontière, Casa de Velásquez, 2011, p. 77-90.)
, en faisant 54 révolter les bourgeois contre le gouverneur de sa Saintéte ? Et la conduite qu’il tint dans toute cette affaire, pour porter le S. Siège à lui donner satisfaction de l’insulte faite à son ambassadeur ne fait-elle pas horreur à tous les bons Italiens ? Ainsi vous voyez par là que vous avez élevé un dominateur qui n’a pas même épargné votre chère patrie.
J’avoue, S. Père, que ces commencements d’un règne dont j’ai posé les premiers fondements me surprennent d’autant plus que je n’attendais rien moins d’un jeune monarque qui m’a donné tant de peines à instruire. Mais j’ai de la douleur en même temps d’apprendre qu’il ait pratiqué des maximes contre les princes spirituels, qui ne lui ont été dictée que contre les temporels, lui ayant toujours inspiré du respect et de la vénération per lo Santo Seggio, pour le S. Siège
pour le S. SiègeNouvelle preuve de l’ignominie du roi, qui dépasse son maître par la négative. Toutefois, ayant précédemment enseigné l'impiété de Machiavel à Louis XIV, Mazarin déroge ici à la vraisemblance.
Tout prince qui fait gloire de suivre les préceptes de Machiavel n’entre point dans ces sortes de considérations, et non rispettare Dio ne Diavolo,55 et ne respecte ni Dieu, ni Diable, pourvu qu’il vienne à bout de ses desseins. Cependant comme Machiavel l’enseigne fort bien, il faut qu’un prince affecte de faire semblant de pratiquer le bien tandis qu’il n’a pour but que le mal. Votre jeune monarque nous fit bien voir l’année suivante qu’il était savant dans l’usage de cette maxime. Car tandis qu’il persécutait la cour de Rome, il faisait beau semblant contre les Jansénistes en faisant même en exécution la Bulle d’Alexandre VII, mon prédécesseur, qui condamnait leur doctrine, et faisait défense de vendre les œuvres de Jansénius. Son grand zèle, ou plutôt son hypocrisie, le porta même à faire dresser un formulaire qu’il voulut que tous les prélats et écclésiastiques du royaume signassent, faute de quoi, qu’on les y contraindraient par la confiscation du revenu de leur temporel. Mais ce ne sont là encore que les premiers traits de son ambition et de sa dissimulation, passons outre
passons outreEn plaçant la répression de Louis XIV contre le jansénisme sous le signe de l’hypocrisie et de l’ambition, Innocent XI tend à nullifier l’une des dimensions du règne de Louis XIV les plus souvent invoquée pour en démontrer l’orthodoxie religieuse.
. Voici un évènement qui lui va ouvrir une belle carrière et qui lui va faire mettre au jour bien de secrets 56 que vous lui aviez confiés lorsque vous fûtes de retour à Paris après la conclusion de la paix des Pyrénées : je veux dire les droits prétendus de la reine son épouse sur les états du Roi Cat. Philippe IV son père. Cette année qui fut celle de 1665 fut fatale pour la maison d’Autriche par la mort de ce prince, et tandis que toute la Chrétienté était en larmes et dans l’affliction, votre jeune Monarque triomphait de joie par l’espérance d’envahir bientôt tant de beaux royaumes et de riches provinces qui étaient à sa bienséance et se revêtir, à l’exemple de la Corneille de la fable, des dépouilles d'un bien qui ne lui appartient pas
d'un bien qui ne lui appartient pasRéférence à la fable d’Esope La Corneille et les oiseaux.
Je le vis, ce pauvre prince
Je le vis, ce pauvre princeFICHE SUR L'ESPACE
, comme il venait de passer la barque de Caron et comme il était sur le rivage du Styx se promenant avec Charles-Quint et Philippe II qui lui étaient venus au devant. Mais comme nous ne sommes pas trop bons amis Philippe II et moi, j’évitai leur rencontre, quoique j’eusse grande envie de l’aborder pour apprendre des nouvelles.57 Cependant, que cette digression ne rompe point le fil de votre discours.
Per dicere in breve, et pour reprendre le récit des funestes malheurs que le décès de ce bon prince vient de cause dans toute la chrétienté, je dirai qu’à peine la mort lui eut fermé les yeux que le roi T.C. fit marcher ses armées vers les Pays-Bas pour se mettre en possession des provinces qu’il prétendait lui appartenir en vertu des droits de Marie-Thérèse son épouse, et se moquant des serments qu’il avait prêtés à la conclusion du traité de St. Jean de Luz par lesquels il avait renoncé à tous ses droits, il fit publier un manifeste pour les autoriser. Et sans autre formalité, il s’empara de Bergue, Furnes, Tournai, Douai, Courtray, Lille, Oudenarde, Alost. Il fit toutes ces conquêtes avec tant de rapidité que la plupart de ces places étaient dépourvues de garnisons et de munitions nécessaires pour leur defense, se reposant sur la bonne foi du dernier traité.
la bonne foi du dernier traité.Tentative d'imposer une version de la Guerre de Dévolution défavorable à la France. Opération historiographique intéressante : la rapide conquête des places fortes ennemies, célébrée par les historiographes français, résulte ici de la ruse et de la l^cheté du roiâ Par ailleurs, Innocent XI omet que l’Espagne n’avait pas tenu sa part du traité en ne payant pas la dote promise lors du mariage.
58
J’avoue che il figio mio fa cose grandi,
che il figio mio fa cose grandi,Que mon fils fait de grandes choses.
et que voilà bien des conquêtes entassées et des usurpation que le droit et la bonne foi semblent condamner d’abord. Mais, à qui la faute ? Elle ne saurait être imputée qu’à la cour d’Espagne, qui a été toujours négligente à faire valoir ses intérêts par la force et la politique qui doivent être inséparables des grandes monarchies.
des grandes monarchies.Précepte machiavélien
J’avoue même que j’y ai beaucoup contribué par les ruses dont je me servis dans la conclusion de cette paix, parce qu’effectivement, j’avais à faire à des plénipotentiaire ignorants de la part de l’Espagne (dont j’appelle à témoin Mr. De Lionne, secrétaire de la négociation) lesquels consentirent à tout ce que je leur demandais. Mais si votre Sainteté fait réflexion que la France m’ayant choisi pour un si grand emploi et le roi T.C. ayant une plaine confiance en moi, j’étais indispensablement obligé de soutenir ses intérêts, à moins que je n’eusse voulu passer per uno traditore et uno infidele pour un traitre et un infidèle. Mais voyons la fin de tous ces événements.59
Le Roi T.C. ne se contenta pas de porter ses armes et la désolation dans les Pays-Bas, mais aussi il entra dans la Franche-Comté au cœur de l’hiver, et le Prince de Condé ayant mis le siège devant Besançon, s’en rendit maître après avoir vaincu l’opiniâtreté des habitants qui étaient résolus à lui vendre bien chèrement leur vie par une vigoureuse résistance. Mais, leur ayant représenté que leur ville avait cessé d’être ville impériale par le traité de Munster, outre qu’on aurait soin de ne rien changer à leurs privilèges, elle se rendit sur ces belles paroles.
sur ces belles paroles.Le texte reprend presque au terme près le récit que donnent les Mémoires pour servir à l’histoire de Louis de Bourbon(Cologne, Marteau, 1693, p. 313). Différence fondamentale : là où les mémoires annoncent que Besançon n’était pas prête à se battre et disposée à se rendre, cette version prétend que les habitants de Besançon étaient prêts à se battre. L’objectif de la présente version est de présenter la reddition éclaire de Besançon comme résultant de mensonges et de lâcheté.
Salins suivit bientôt l’exemple de Besançon, ne pouvant plus longtemps résister aux cruautés du Maréchal de Luxembourg
aux cruautés du Maréchal de Luxembourg Là encore, le combat est présenté comme inégal et la victoire, comme le résultat non pas d’affrontements à armes égales, mais de cruautés.
 : L’importante Ville de Dole fut aussi soumise à l’obéissance del Vincitore du conquérant ; aussi bien que la ville de Gray. De sorte que le seul mois de Fevr. termina la réduction de toute la Franche-Comté. Les Espagnols considérant leur faiblesse et la rapidité des armes victorieuses du Roi T.C. ; outre qu’ils avaient sur les bras le Portugal, dont la diversion 60leur faisait d’autant plus de peine qu’elle était fomentée par la France, et qu’elle attaquait le cœur de leurs Etats, se résolurent enfin
se résolurent enfinLa guerre est encore une fois présentée comme le résultat de manoeuvres déloyales et non d’affrontements honorables.
de demander une suspension d’armes qui leur fut accordée jusques à la fin du mois de Mai de l’année 1668 ce qui leur procura le moyen de se réconcilier avec le Portugal par une paix, dont le Pape fut Médiateur, qui fut la Paix d’Aix-la-Chapelle.
Per Dio dunque il mondo quieto, voilà donc la calme rétabli dans l’Europe.
Rien moins que cela ; car votre jeune Monarque, sempre che non è mai satio, et sepre perfido, toujours insatiable et toujours perfide
toujours insatiable et toujours perfideLes mots rappellent le titre d’un pamphlet contemporain, La France toujours ambitieuse et toujours perfide.
, fit marcher ses armées deux années après, c’est-à-dire en 1670, vers les Etats du pauvre Duc de Lorraine,
pauvre Duc de Lorraine,Charles IV de Lorraine. Cette image du “Pauvre Duc de Lorraine” se forge dans les narrations précédant ces événements, notamment dans Les Portraits des hommes illustresde Vulson de la Colombière (1668) à propos des invasions de la Lorraine dans les années 1630.
sous prétexte que ce Prince ne lui avait pas tenu parole, ou qu’il avait entretenu des correspondances secrètes dans toutes les Cours des Princes voisins. De sorte que le Marechal de Créquy s’étant présenté devant Pont-à Mousson, cette place 61 se rendit sur le champ, et ses Fortifications furent rasées.
furent rasées.Raser les murailles d’une ville est une manière de la neutraliser, ainsi que le note Vauban. Le pamphlet souligne les destructions provoquées par les guerres de Louis XIV et particulièrement, la politique de terre brûlée. A ce sujet, voir l’articlede J-P Cénat.
Épinal, Chasté, et Longwy se soumirent aussi à l’obéissance du Roi, et le pauvre Duc de Lorraine étant chassé de ses Etats, fut contraint d’aller chercher asile ailleurs, et d’implorer la clémence des autres Princes qui le reçurent par charité.
Il n’est rien arrivé, au Duc de Lorraine que je ne lui eusse prédit. Et s’il avait suivi le Conseil que je lui donnais lorsque nous étions occupés aux Conférences de la paix des Pirennés, je suis persuadé, qu’il aurait mieux fait ; je lui ai même du depuis reproché sa bêtise, sur les bords de ce fleuve, lorsqu’il eut passé la barque de Caron,
la barque de Caron,Charles IV de Lorraine meurt en 1675. Retour de la scène d’énonciation, permettant de commenter les événements qui viennent d’être énoncés.
dans une conversation que j’eus avec lui, où il me faisait la triste peinture de ses disgrâces.
Le but de votre Eminence était, de le rendre esclave perpétuel de la France,
esclave perpétuel de la France,Expression à connotation religieuse forte : le seul “esclavage perpétuel” valorisé est celui dû au ciel, tout esclavage entre humains étant ignominieux, ainsi que le rappelait, en 1652, L'Ecole de la Vierge Marie ou plus tard, en 1691, le manuel de dévotion au Sacré Coeur de Jésus-Christ. En présentant ainsi le dessein de la France, Innocent XI en fait là encore une nation ignoble.
en lui conseillant d’abandonner entièrement les liaisons qu’il avait avec la Maison d’Autriche, pour l’attacher à celle de Bourbon ; c’est à dire 62 de Prince Souverain et indépendant qu’il était, devenir Vassal, sujet, et dépendant. Mais sans nous arrêter plus longtemps en Principes fortunato, à ce Prince infortuné. Voyons si votre Élève machiavélisé en a mieux agi envers les autres Puissances de l’Europe. En l’année 1672, il colmo di tutta li scelerateza ; ce qui est le comble de toutes les perfidies. Il trouva le moyen de rompre les engagements qui unissaient la Suède, l’Angleterre et les Provinces-Unies, sous le nom de Triple Alliance ; et après avoir comploté avec l’Angleterre et l’Évêque de Munster, le résultat de ces trois Puissances fut de ne point quitter les armes qu’après la destruction et la ruine entière de la Hollande, comme d’une autre Carthage, dont chacune devait avoir une portion suivant le partage qui avait été arrêté à Versailles, où les Ministres des Princes ligués avaient tenu sur ce sujet plusieurs Conférences ma che monta piu mais qui plus est : C’est que le Roi T.C. ne se portait à tous ces excès, que pour satisfaire à son ambition démesurée, témoin ce qu’il fit 63 publier dans ses Manifestes,
dans ses Manifestes,C’est effectivement ainsi que les déclarations officielles justifient l’entrée en guerre de la France, notamment dans L'Ordonnancedu 6 avril 1672 qui promulgue le boycotte de la Hollande. Racine, dans son Eloge historique de Louis XIV, justifie ainsi l’entrée en guerre contre la Hollande : “Le Roi, las de souffrir [ses] insolences, résolut de les prévenir.”
que la grandeur et la puissance de cette République lui faisait ombrage, et qu’il avait des motifs suffisants pour ne plus regarder ces peuples comme les ennemis de son Etat. Quoi qu’il en soit, les Provinces-Unies soutinrent une terrible crise, et la fortune balança si bien leur destinée, cosa miracolosa, que ce fut un espèce de prodige,
un espèce de prodige,La guerre de Hollande commence par une invasion éclaire des Pays-Bas par la France. Ce n’est que par une décision in extremis d'inonder les terres que la Hollande parvient à empêcher une invasion totale et prolonger la guerre jusqu’en 1678.
comme quoi elles se sauvèrent.
Si votre Sainteté considère que les Hollandais sont diverse nationi, ribelli, et heretici adunate per populare une teraDiverses Nations rebelles et hérétiques ramassées qui forment cette République.. Elle ne trouvera pas étrange que le Fils aîné de l’Eglise eut juré leur ruine et violé par conséquent la parole qu’il leur avait donnée par les derniers Traités, suivant ce principe fides non est servanda hereticis.
fides non est servanda hereticis.Canon du concile de Constance sur lequel se fondent les agressions catholiques contre la Hollande, ainsi que le présente La Grande Chronique ancienne et moderne de Hollande au début du siècle au sujet de l’Espagne.
Mancare di fédé ? manquer de foi. O ! abominevole Massima, ô ! maxime détestable ; que deviendront les Etats, les Républiques, et même les plus puissantes Monarchies ? que 64 deviendront les peuples qui se reposent et vivent sous la bonne foi des Traités ? Qu’en revint-il à Ferdinand qui était le plus perfide Prince de son siècle, témoin la conduite qu’il vint au sujet des démêlés qu’il eut avec Louis XII. Ce Prince le trompa toujours et son règne n’a été qu’une suite perpétuelle de perfidies. En fut-il plus heureux pour cela ? Non,
Non,Reprise littérale du libelle Les Bornes de la France(1694) qui cite exactement les mêmes références de la même manière pour souligner la perfidie et la folie de faire la guerre sans prétexte légitime.
Sénèque, AristoteUltrimo Nichom., et Dion de PrusseOrat. XXXVII. d’Epist. IV. nous disent des belles choses là-dessus. Je conclu donc qu’un Prince, doit être autant jaloux de sa parole, qu’il est de sa grandeur, et à quelques peuples qu’il la donne, Chrétiens, ou Hérétiques, Païens ou Musulmans, il la doit tenir consacrato a Dio comme ce qu’il y a de plus auguste, de plus sacré et de plus inviolable dans la Christianisme et dans la société humaine.
Mà molio piu che vostra Santità. Mais je prie votre Sainteté de vouloir poursuivre le récit de tant d’événements, que j’ai ignoré depuis environ trente ans que j’ai quitté le monde, 65 ces étranges révolutions m’intéressent d’autant plus, qu’on m’en fait l’Auteur, et qu’elles me font regarder comme l’horreur, non seulement des mortels, mais aussi des plus détestables damnés, à quoi cependant je n’ai contribué qu’autant que le caractère de premier Ministre dont j’ai été honoré à la Cour de France, et la gloire du Prince qui était sous ma tutelle m’y ont engagé : Ce qui devrait si me semble faire mon apologie, de manière que je fusse à couvert des murmures et des malédictions de tant de peuples qui crient .Mazarini abominevole monstro
.Mazarini abominevole monstroLa légende noire de Mazarin se forme pendant la Fronde où il est qualifié, dans les mazarinades, de "monstre", d’"abominable" et parfois des deux.
Il ambitione del Prince che non è maì satio. Ce Prince dont l’ambition ne voulait point avoir d’autres bornes, que celles de toute l’Europe, laquelle ne devait plus reconnaître che il Monarchia del grande Ludovico,
che il Monarchia del grande Ludovico,que la Monarchie de Louis le Grand
porta ses armes victorieuses si avant, que toute l’Allemagne commençait à trembler, ce qui fit concevoir de si grands ombrages à l’Empereur, qu’il déclara ouvertement à la Diète de Ratisbonne, qu’il était temps 66 d’arrêter la rapidité de ce torrent, et invitant les Princes de l’Empire à s’unir ensemble, les armées des Impériaux commencèrent à paraître sur le Rhin. Les Espagnols qui ne faisaient que de quitter les armes, se reposant sous la bonne foi du dernier Traité, qui était celui d’Aix-la-Chapelle furent encore contraints de les reprendre pour venir tous ensemble au secours des Provinces-Unies, bien persuadés que s’ils ne s’aidaient pas à éteindre le feu de leurs Voisins, leur Pays ne manquerait pas d’en ressentir bientôt les suites funestes.
les suites funestes.Le récit de l’invasion des Provinces-Unies est mené sous le registre tragique, soulignant la politique prédatrice de la France face aux pays victimes et travaillant à contrecarrer l’idée que l’alliance des États impériaux était le fruit des intrigues politiciennes espagnoles.
Dio moi ! Mon Dieu ! Voilà donc toute l’Europe encore en feu. Mais voyons qu’elle en fut la fin.
Mais voyons qu’elle en fut la fin.Rhétorique de surprise et de curiosité qui augmente la tension narrative. L’intervention de Mazarin permet en outre d’alléger la narration en la théâtralisant et à présenter les guerres de Louis XIV comme véritable catastrophe.
La fin fut que votre jeune Élève, poursuivant la route que vous lui aviez prescrite per vostro diavola del Machiavelle, continuant à porter le feu et la désolation dans tous les Etats des Princes Chrétiens, crut enfin qu’après avoir fait sentir à toute la Chrétienté son insupportable domination, il n’y avait pas de plus sure 67 voie à prendre pour lui, tant pour se maintenir à ce haut degré d’élévation, que pour endormir toutes les Puissances de l’Europe, qui venaient de prendre les armes contre lui, que de commencer par les diviser. Ainsi la Hollande qui avait essuyé les premiers tourbillons de sa fureur, lasse de fournir, et accablée par le pesant fardeau des charges de la guerre, fut la première à qui il fit des propositions de paix. Il est naturel à des peuples, qui avaient été réduits aux dernières extrémités, de chercher du soulagement ; ainsi il n’eut pas de la peine à les détacher du parti, par le moyen de l’importante Ville de Maastricht qu’il leur rendit : La Paix particulière entre la France et la Hollande fut donc publiée le 1 d’Octobre de l’année 1678.
He ! qu’est-ce que devinrent les autres Princes de la Ligue ?
La proie et la victime de l’Agresseur,
La proie et la victime de l’Agresseur,La France est l’Agresseur, et ses victoires résultent des cruautés qu’elle exerce - image employée pour la première fois sous la plume de Lisola.
car les ayant attaqué les uns après les autres avec toutes les forces, en renouvelant les fureurs et les 68 les cruautés de la guerre, à l’exemple d’un Charles le Hardi Duc de Bourgogne, qui fut surnommé le terrible, il ne leur donna point de quartier qu’ils n’eussent souscrit aux conditions des avantageuses qu’il leur proposait. De sorte que les Princes de l’Empire se voyant abandonnées de ceux qui étaient considérés comme le nerf de la guerre, et le premier mobile qui les avait fait agir, ne songèrent plus qu’à faire leur paix séparée les uns après les autres à l’exemple de leur Alliée.
à l’exemple de leur Alliée.Cette présentation des traités de Nimègue victimise les différents protagonistes de ces négociations complexes.
L’Empereur fit la sienne, et elle fut publiée le vingt-six d’Avril de l’année 1679. Celle de l’Électeur de Brandebourg et de l’Espagne suivirent peu de temps après, et celle-ci fut confirmée par une nouvelle Alliance, qui fut le mariage du Roi d’Espagne avec Mademoiselle fille ainée de M. Duc d’Orléans. Les Conférences de la Négociation du Traité de Nimègue furent donc terminés par le chagrin et le déplaisir que les Princes confédérés eurent de se voir le jouet et la dupe perpétuelle de la France, qui les avait forcé l’épée dans les reins à lui accorder tout 69 ce qu’elle avait demandé.
ce qu’elle avait demandé.Référence à la négociation entre le Brunswick et le Brandebourg et leurs victoires sur la Suède, alliée de la France. Louis XIV parviendra à leur faire accepter, en échange d’argent, de ne pas conserver les territoires suédois.
Le traité de Nimègue fut donc confirmé encore pas une nouvelle alliance, qui se fit entre les deux Maisons, comme le fut celui des Pirennées par le mariage de Marie Thérèse avec Louis le Grand : Et le pauvre Colbert m’apprit dernièrement comme nous nous promenions
comme nous nous promenionsProcédé courant dans les dialogues des morts qui rend l’événement imprévisible. Cette manière de distribuer le discours entre différents intervenants permet de théâtraliser, pour le lecteur, le traitement des affaires du temps.
dans ces plaines infernales bien des particularités, dont vous ne me dites pas un mot, qui est au sujet d’une autre alliance que le Roi T.C. fit du côté de l’Allemagne l’année d’auparavant par le mariage de Monseigneur le Dauphin avec Anne Marie Victoire sœur de l’Electeur de Bavière aujourd’hui régnant. Il m’apprit que c’était lui-même en qui le Roi avait confié tout le secret, et qu’il avait été envoyé à Munk pour assister à la signature du contrat de mariage. Il ajoutait que le principal but qui avait porté le Roi son Maître à rechercher cette alliance, était plusieurs belles et bonnes prétentions qu’elle lui apportait pour attaquer de nouveau l’Empire, et que sous l’appui d’une des plus puissantes 70 maisons de toute l’Allemagne, il aurait toujours la porte ouverte pour y entrer quand il lui plairait.
Colbert a dit vrai à votre Eminence à quelques égards, parce qu’il est certain que ce Monarque, qui avait toujours les yeux ouverts,
les yeux ouverts,Reprise du motif de l’oeil menaçant du Roi Soleil que l’on trouve dans des pamphlets antérieurs comme L'Esprit de la France. Version négative de l’idée notamment développée dans les Mémoires de Louis XIV que le Roi doit tout voir et tout savoir.
comme les oiseaux de proie, sur les Etats de ses voisins pour les envahir à la première occasion, ne songea plus après la paix de Nimègue qu’à forger des nouveaux fers pour réduire l’Europe sous l’esclavage qu’il avait médité des les premières années de son Règne, en bâtissant toujours sur vos principes et sur vos détestables maximes. De sorte qu’ayant encore endormi tous les Princes de la Chrétienté par le traité de Nimègue, comme vous aviez fiat par celui des Pirennées ; Il avait en vue en contractant une étroite Alliance avec la Maison Electorale de Bavière, de se frayer une route assurée pour entrer dans les Etats du Chef de la Maison d’Autriche, et acquérir par là es nouveaux droits pour faire couronner un jour son fils 71 Monseigneur le Dauphin Roi des Romains à l’exclusion du fils de l’Empereur, ma certo, lo ingannatore è stato ingannato, mais le trompeur a été trompé lui-même ; en premier lieu en ce que bien loin d’engager la Maison de Bavière dans ses intérêts par ce mariage, il semble qu’il ait contribué à l’unir plus étroitement à la Maison d’Autriche, ainsi que l’experience la fait voir ; et en second lieu, en ce que bien loin de frayer par là ne route qui dût favoriser l’election du Dauphin Roi des Romains, nous avons vu arriver tout le contraire, par l’attachement inviolable que tous les membres de l’Empire ont témoigné pour l’élection du jeune Roi de Hongrie, qui fut couronné Roi des Romains il y a quelques années, ce qui mortifia si fort le Rois T.C. qu’il faillit à en élever de dépit ; de sorte que pour se venger, de la mauvaise réussite qu’avaient eu ses grands desseins, en s’alliant à la maison de Bavière, Madame la Dauphine n’a eu du depuis que des chagrins à la Cour de France, qui ont beaucoup contribué à abréger ses jours, comme tout le monde sait.
comme tout le monde sait. Épouse du Grand Dauphin en 1680, Marie-Anne de Bavière était morte à l'âge de 29 ans à Versailles en 1690.
72
J’avoue St. Père que le récit de tant d’évènements qui se sont passés dans si peu d’années, me surprend d’autant plus, que j’avais conté sur l’activité et la promptitude qui commençait à briller dans toutes actions de ce jeune Monarque, lors même qu’il n’avait encore que 10 ou 12 années, comme sur des défauts, capalbes de faire échouer ses plus grandes entreprises, Aussi lui disais-je souvent pour modérer l’ardeur de sa jeunesse, figlio mio chi va piano, va sano.
figlio mio chi va piano, va sano. Mon fils celui qui va doucement, va loin.
Mais voyons ce qui s’est passé après la conclusion de la Paix de Nimègue, à laquelle on ne peut pas dire que j’aie eu aucune part, non plus qu’en celle d’Aix la Chapelle, puisqu’elles se sont faites après mon départ du monde.
après mon départ du monde.Un autre désaveu du Cardinal de la conduite de Louis XIV, ce qui souligne la malice du Roi Soleil.
J’avoue que Vostra Eminentia nissuna parte aveto.
Vostra Eminentia nissuna parte aveto.Votre Eminence nulle part
Mais si l’on considère que vous avez jette les premiers fondements de cette Monarchie, et que sur vos principes votre Élève a bâti l’ambition et le désir insatiable qu’il a eu de s’agrandir sur les ruines des autres Etats ses voisins, vous n’en êtes pas 73 pas moins coupable, ni moins responsable des malheurs qui affligent aujourd’hui la Chrétienté.
Che Diavolo ! serai-je donc éternellement l’horreur du genre humain, et pour toute recompense d’avoir bien servi la Frnace, faudra-t-il que je sois devenu sempre la maledittione di tutti gli Franchezzi, et di tutti gli Nationi.
sempre la maledittione di tutti gli Franchezzi, et di tutti gli Nationi.toujours la malédiction de tous les Français et de toutes les Nations
Sans doute. Mais passons outre. En l’année 1680 c’est-à-dire une année après la conclusion de la Paix de Nimègue, votre Monarque sempre ambitioso et sempre perfido,
sempre ambitioso et sempre perfido,toujours ambitieux et toujours perfide
commença à faire des nouvelles affaires au Roi Catholique par le mauvais traitement qu’il fit au Duc de Giovenazzo son Ambassadeur à Paris,
le mauvais traitement qu’il fit au Duc de Giovenazzo son Ambassadeur à Paris,Domenico del Giudice Duc de Giovenazzo, envoyé extraordinaire du roi espagnol. Cet extrait d’une lettre du Roi Soleil évoque justement la destruction des magasins et des vaisseaux pour justifier son refus de donner audience privée à Giovenazzo.
en lui déniant les honneurs et les prérogatives dûes à son caractère, et dont ceux qui l’avaient précédé dans cet emploi avaient toujours joui, parce disait-on,Voir par exemple que le Duc de Giovenazzo, lors qu’il resitait à la Cour de Savoie, avait voulu brûler l’Armée Navale de sa Majesté dans le Port de Toulon, aussi bien que les Magazins de Pignerol, 74 à quoi il n’avait jamais songé, et cela à l’insu du Roi Catholique son Maître. Quoi que le Roi d’Espagne tentât de ranger à la raison le Roi T.C en faisant traiter de la même manière le Marquis de Villars son ambassadeur à Madrid, tout cela ne fut pas capable de lui faire changer de conduite, et il fallut dans cette occasion que sa Majesté Catholique se soumit aux volontés d’un Monarque qui voulait être obéi ; ainsi pour éviter une rupture il fut nécessaire de rappeler le Duc de Giovenazzo, et le Marquis de Fuentes fut envoyé à sa place pour faire au Roi T.C. des très humbles excuses de la part du Roi Catholique son Maître.
de la part du Roi Catholique son Maître.Nouvel épisode destiné à faire de Louis XIV un roi félon qui ne respecte pas les relations internationales les plus élémentaires. Le pamphlet travaille ici contre des textes concurrents, notamment L'Histoire de Louis XIVde Riancourt et les correspondances contemporaines telles que celle de Mme de Villars (femme de l’ambassadeur de France en Espagne) où les actions de Giovenazzo sont présentées comme prouvées.
Je suis obligé de dire que le Roi T.C. n’avait pas raison d’en agir ainsi, dans un temps où il devait être assez satisfait d’avoir humilié tous les Princes de l’Europe, et particulièrement la Maison d’Autriche son irréconciliable ennemie. Ainsi il devait les laisser jouir paisiblement des fruits d’une paix, qu’il leur avait vendue assez chèrement. 75
Votre Eminence a raison, mais voyons les suites. Le Roi T.C. qui est un demonio suelto*En Espagnol Diable déchaîné, ne pouvant vivre sans faire du mal, tourna ses armes contre ses sujets, et voulut déchirer ses propres entrailles en portant le poignard contre son propre sein. Car ayant entrepris d’extirper de son Royaume l’Hérésie Huguenotes, il n’y eut point de crime qu’il ne commit pour en venir à bout, jusques à des sacrilèges qui feront éternellement honte à l’Eglise, le couvriront lui-même à jamais d’infamie, et rendront sa mémoire odieuse à tous les siècles à venir.
sa mémoire odieuse à tous les siècles à venir.Si la défense des Protestants par le pape frôle l’invraisemblance, mettre une telle dénonciation du traitement des Huguenots dans la bouche du Pape souligne l'immoralité de la conduite de Louis XIV.
Après un nombre infini d’Edits et de Déclarations, qui furent rendues contre eux tendant toutes à ruiner leurs Privilèges, et les Libertés que ses Prédécesseurs leur avaient accordées. Le 27 Février de l’année 1681 il fit publier une ordonnance qui portait que tous les Commissaires des quartiers se transporteraient avec deux personnes Catholiques, dans les maison des Reformés malades, ou à la gonie, pour s’informer d’eux dans 76 qu’elle Religion ils voulaient mourir, et sous ce prétexte on les forçait prendre l’Auguste Sacrement de l’Eucharistie, de sorte que la plupart étaient contraints de l’accepter, plutôt pour se délivrer de la persécution des Prêtres, que pour satisfaire aux devoirs d’un fidèle Chrétien, et après l’avoir pris le crachaient. Spapentoso je frémis d’horreur quand j’y songe : Et je puis dire avec sincérité, que ce qui ma porté à contrarier la France sur les dernières années de ma vie, c’est la considération de tant de blasphèmes, et de sacrilèges commis contre les plus grands mystères de la Religion ; et c’est cette sainte conduite qui m'a fait charger du sanglant outrage >de fauteur des hérétiques.
>de fauteur des hérétiques.Propos ironique : la Révocation de l’Édit de Nantes fait des hérétiques des Chrétiens.
S’il a fait cela,
S’il a fait cela,Un autre désaveu de la part de Mazarin, mais qui démontre un usage savant du dialogue.
questo e dunqu un diavolo scatnatoC’est donc un Démon déchainé., comme dit très bien votre Sainteté.
Certamento. Certainement il l’a fait.
Mais St. Père s’il met permis de dire 77 deux mots à l’avantage de la France, et de faire en quelque manière l’apologie du Prince dont vous avez maudit les maximes tout le temps que vous avez été assis sur la Chaire de St. Pierre. Je ne puis m’empêcher de dire, que ce Monarque, par la destruction de l’heresie dans ses Etats, à augmenté considérablement vos revenus, étendu le Royaume de Jésus-Christ, la puissance la Sainte-Mère Eglise, et la Domination spirituelle et temporelle de votre Sainteté : Que par conséquent bien loin de désapprouver une telle conduite, il semble, qu’il était de votre intérêt de l’applaudir, et de concourir unanimement à extirpation d’une maudite Secte qui s’est de tout temps déclarée ennemie irréconciliable de la Cour de Rome.
la Cour de Rome.Mazarin joue le rôle de l’avocat du diable.
A Dieu ne plaise, que j’aie jamais été dans ces sentiments, attendu que ces voyez de travailler au salut des âmes et à la conversion des hérétiques, sont si opposées à l’esprit du Christianisme et de l’Evangile, que l’expérience nous a fait voir, que Louis le Grand au lieu de purger son Royaume 78 de l’Hérésie Huguenote, il l'a rempli de mille nouveaux Hérétiques, Athéistes, Epicuriens, Blasphémateurs, etc. qui souillent aujourd’hui l’Eglise par leurs sacrilèges. De sorte que la France est à la veille de se voir déchirée par mille nouvelles factieuses Sectes différentes qui semblent s’élever sur les ruines du Calvinisme, et naitre des cendre d’une Religion qui n’était pas malfaisante. Ainsi ne valait-il pas mieux pour le repos de l’Eglise, laisser vivre ce monstre, que le combattre pour en faire sortir mille autres après l’avoir terrassé, infiniment plus à redouter.
plus à redouter.Ces propos reprennent une crainte répandue à l’époque de l'insincérité des conversions de Protestants qui allaient masquer leurs croyances pour s’échapper à la violence de la couronne.
Votre Sainteté à donc été sensiblement outrée par la conduite de ce Monarque.
Molto piangimento. Si touchée que j’en ai versé des larmes, et pour en témoigner mon ressentiment, j’ai poussé, la vendetta aussi loin qu’un bon Italien le pouvait faire. Je la fis éclater principalement par trois Brefs
trois Brefs Les Trois Brefs d’Innocent XI contestent le droit de régale, que Louis XIV avait revendiqué dès 1673 pour affirmer son pouvoir de nommer les évêques et de s’occuper des revenus des évêchés dans tout le royaume. La couronne française répond par la publication de la Déclaration du clergé français en 1682.
qui furent publiés en France en l’année 1681 par lesquels je donnais 79 atteinte aux libertés de l’Eglise Gallicane, et particulièrement au Droit de la Régale. Le Roi T.C. qui voyait plier toutes les Puissances de l’Europe sous le joug de sa fière domination, fut extrêmement surpris de me voir le seul intrépide, et assez hardi pour lui faire connaître que sa puissance, et son ambition n’etaient pas sans bornes ; de sorte que dans le fort de ma vieillesse, quelque irritée qu’il fut contre moi, il fut contraint d’admirer mon hardiesse et ma fermeté. Il fut si alarmé des foudres du Vatican, qu’il n’y eut point de moyens qu’il ne mit en usage pour tacher de me fléchir, témoin les empressements du Duc d’Estrée, et ses fréquentes sollicitations pour avoir audience de moi sur ce sujet, ce que je luis refusai constamment malgré les emportements du Roi son Maître, qui ne me menaçait rien moins que de porter ses armes en Italie, si je refusais de luis rendre raison de tant d’attentats. Voyant donc que j’étais inexorable, et que je puis dire sans vanité le seul de tous les Princes de la Chrétienté, qui osât s’opposer au torrent de son ambition. 80 Il crut qu’il ne pouvait se mieux manger, que par une convocation des Évêques du Royaume, qui furent les Archevêques de Reims, d’Ambrun et Alby, les Eveques de la Rochelle, d’Autun et de Royes qui examinèrent mes Brefs. Le Résultat de ces * Espantavellacos*Rodomentades en Espagnol. fut de convoquer un Concil National de tout le Clergé de France, pour y résoudre sur les moyens de conserver les droits de l’Eglise Gallicane. Enfin par mon intrépidité je fis voir à la France que je redoutais peu la vanité de ce projet, et que bien loin de m’ébranler par toutes ces menaces, a résolution était de lui disputer le terrain pie inanzi pie, pied à pied.
Il y avait cependant lieu de craindre que cette affaire n’attirât des terribles troubles dans l’Eglise, et le Roi T.C. en pouvait d’autant plus facilement venir à cette extrémité, qu’il y a des exemples dans l’histoire qui l’autorisent,
l’histoire qui l’autorisent,Ici débute un débat -- qui s’étend sur une trentaine de pages -- sur l'histoire de la monarchie française qui s’inscrit dans le contexte du gallicanisme (doctrine affirmant la supériorité de l'église française sur le Vatican). Tandis que Mazarin défend les droits de la monarchie française en évoquant les exemples de l’histoire et en insistant la supériorité du monarque français est voulu par Dieu, Innocent XI essaie de justifier ses actions contre le Roi Soleil. Ça reprend des débats dans les pamphlets tels que Les Soupirs de la France esclave. Étrange de voir une telle défense de la monarchie française dans le contexte d’un pamphlet anti-France, surtout si l’auteur était protestant. La forme semble primer sur le fond dans la mesure où les plaisirs du débat accordés par le dialogue priment sur la cohérence idéologique.
principalement quand les Papes ont refusé la convocation d’un Concile général, par des démêlés qu’ils ont eu avec les Rois de 81 France. Témoin ce qui est rapporté par le Président de Thou, touchant ce que dit Messire Charles de Marillac Archevêque de Vienne en Dauphiné, à Français II que Charles V n’avait jamais pu obtenir des Papes la liberté de faire convoquer un Concile général, parce que la Cour de Rome ayant ses vues y apportait toujours des obstacles invincibles.
parce que la Cour de Rome ayant ses vues y apportait toujours des obstacles invincibles.Ce passage semble être inspiré de la Histoire de Louis XIV, Contenant ce qui s’y est passé de plus remarquable depuis 1674 jusqu’à présent de Simon de Riencourt, publié chez Claude Barbin en 1693 -- texte favorable à la couronne.
Que pour éviter un plus grand mal, il était donc permis au Roi de convoquer un Concile National suivant les anciennes constitutions de la Monarchie où l’on en assemblait un de cinq en cinq ans, ce qui s’était continué depuis Clovis, jusques à Charlemagne, et n’avait été discontinué que sous Charles VII. Que François II devait prévenir des grands maux par là, qu’ainsi cette considération le devait porter à regarder avec mépris tous les obstacles que la Cour de Rome y voulait apporter, attendu qu’il n’avait pour but que le bien de l’Eglise.
La suite a fait cependant voir, que le fils ainé de l’Eglise avait été extrêmement humilié, par la conduite 82 que je tins dans cette rencontre, et que sa conscience lui reprochant sa rébellion, et la hauteur avec laqu’elle il avait traité le Chef de l’Eglise, il ordonna sous main, qu’à la vérité une assemblée générale du Clergé de France serait convoqué, comme en effet elle le fut, mais avant que de passer outre, il voulut qu’on fit une dernière tentative pour tacher de vaincre, par la soumission, mon opiniâtreté : Ainsi cette vénérable Assemblée m’ayant écrit une Lettre par l’ordre du Roi, âpres la lecture que l’Archevêque de Paris lui en fit à St. Germain, elle fut incessamment envoyée à Rome, avec ordre au Duc d’Estrée son Ambassadeur
Duc d’Estrée son Ambassadeurmini portrait, Hannibal d’Estrée (le duc) v César = frère d’Hannibal qui le succède après la mort du dernier
de me la présenter.
Votre Sainteté fit-elle réponse à cette Lettre ?
Nò Signore. Je refusai absolument de la lire, quelque instance que le Duc d’Estrée fit pour m’y obliger : De sorte que le Roi T.C. voyant que la réponse ne venait pas, ordonna à l’Assemblée du Clergé de passer outre, l’Archevêque de Reims et l’Évêque 83 de Meaux, avaient été choisis en qualité de Commissaires pour régler les préliminaires des matières que l’on devait traiter, dont les plus importantes étaient les six propositions de la Faculté de Théologie de Sorbonne, qui avaient tant fait de bruit en l’année 1663.
qui avaient tant fait de bruit en l’année 1663.Référence à une première formulation du doctrine gallican dans les Six propositions, publiées par la Sorbonne, présentées au roi le 8 mai 1663, qui seraient développées en 1682
De sorte que sur le rapport que ces deux Prélats en firent questa razza maledetta di Franchezzi, cette maudite race de Français conclut. 1. Que le Chef de l’Eglise,
1. Que le Chef de l’Eglise, source??
ni l’Eglise même, n’avait rien à prétendre sur le temporel des Rois ; que nous n’étions point en droit de les déposer, et que les sujets d’un Prince Chrétien ne pouvaient être par nous affranchis des serments de fidélité sous quelque prétexte que ce fut ; 2. Que le Concile général était au dessus du Chef de l’Eglise, suivant les anciennes maximes et la doctrine du Concile de Constance, rapportée dans le 4. et 5. Article. 3. Que la puissance du Chef de l’Eglise serait soumise aux Canons, et qu’il ne pourrait rien faire qui fut opposé aux anciens Conciles ; que les libertés de l’Eglise Gallicane, seraient aussi indépendantes de notre 84 autorité, parce que les Rois de France ne tenant leur Royaume que de la main de Dieu, ils ne sont point en droit de reconnaître d’autre puissance temporelle, d’autant plus que les anciens usages de l’Eglise, et les Constitutions des anciens Conciles, les en ont laissé jouir une longue suite d’années, malgré les atteintes des Papes ennemis de la France. 4. Enfin il fut arrêté que le Souverain Pontife, quoiqu’il fut revêtu d’une plaine autorité concernant les choses qui regardent la foi, cependant ses décisions ne serait pas authentiques sans le consentement universel de l’Eglise, et voilà notre infaillibilité foulée aux pieds. Après de si sanglants outrages, n’étais-je pas endroit de me servir de tous les foudres du Vatican per distruggere questa maledetta razza di Franchezzi.
Nò.
Perché nò ?
Perché nò ?La stichomythie en italien rappelle le répertoire de la Commédia dell’Arte.
Nò.
Comé nò ? 85
Parce que le Roi T.C. seul est vicaire et Lieutenant Général de Dieu dans son Royaume et babet vim Apostoli.
Comment entendez-vous cela ?
Pour vous prouver vous remonterons jusques à la naissance de la Monarchie. Pharamond donc fut premier Roi des Français et commença à régner en l’an quatre cents dix-sept. Trois de ses successeurs furent Payens : Clovis fut le premier Chrétien* Du Haillan à la fin du règne de Clovis. ; il vint à la Couronne l’an 384 et continua la possession du droit Royal, car il convoqua un Concile à Orléans au quel se trouvèrent plusieurs Prélats au nombre de 32 Évêques ; il fit exécuter à mort deux Moines criminels de Lèse Majesté. Les Successeurs de Clovis continuèrent ainsi jusques à Boniface III que nous pouvons dire avoir été le premier Pape ; car quant au nom+ Hier. Epist. ad., il était auparavant commun aux autres Prélats, selon que 86
St. Hirôme en plusieurs Epitres, appelle St. Augustin*Augusto 2. et Alepius du nom de Papes, comme le nom de Prêtres et d’Évêques se prenait en même signification ; car disait St Hierôme+ Hier. Evagrio ubique fuerit Epistopus sive Roma etc. sive Regii éjusd est meriti et sacerdotii etc, qu’est ce que l’Évêque fait de plus que le Prêtre excepté l’Ordination etc. Tout Évêque soit de Rome ou d’Alexandrie à pareil mérite et même Prêtrise, les richesses ni la pauvreté ne, lèvent, ni n’abaissent l’Evêque etc. Cependant après six cents ans Boniface III, alors Évêque de Rome, avec le nom, c’est attribué l’effet, et au lieu qu’Adam donnait le nom selon la nature des choses, et suivant ce qu’elles étaient en elles-mêmes ; Boniface III et ses Successeurs se sont appropriés les choses en abusant du nom. A propos de quoi les Historiens remarquent++ Beda Sigibut. Etc Durand 4. Rational. Ado, Onufrius. qu’il a le premier usé de ses termes en ses Décrets. Nous voulons, ordonnons, commandons, et enjoignons. 87
Mais comment cela est-il arrivé ?
Toutes ces usurpations ont été favorisées par les confusions des guerres d’Italie, et la nonchalance des derniers Rois de la première Race. Pépin désirant de transférer la Couronne en sa famille, se fit couronner par le Pape en l’année 775 afin de se servir du crédit que dès ce temps là le Pape avait es Eglises Chrétiennes ; et afin de l’obliger davantage à soutenir ses intérêts il lui donna l’Exerçât de Ravenne, et la Romagne, de sorte que le Pape et Pépin s’obligèrent l’un l’autre de cette manière. Car il est à remarquer que le moindre Evêque de France pouvait aussi légitimement couronner Pépin que le Pape Zacharie, et l’Exerçât n’appartenait point au Roi, mais à l’Empereur, du quel pour adoucir l’indignation*Paul Aemile, du Tillet et autres., le Roi fit cette donation au nom de Constantin, mort il y avait plus de trois cent ans. Ce que j’avance pour faire connaître à votre Sainteté que la grandeur 88 des Papes procède de la libéralité des Rois T.C. et que vous seriez bien ingrats si vous le méconnaissiez. Enfin Pépin changea les cérémonies de l’Eglise Gallicane, et introduisit les Romaines par l’entremise de Rémy Archevêque de Reins.
Voyons la suite ?
En l’année 776 Charlemagne passa en Italie, subjugua Didier Roi des Lombards, le prit prisonnier et l’emmena à Lion, et peu de temps âpres étant prié par le Pape Léon, de le vouloir délivrer de la main de Campul, et Sylvestre ses ennemis il y alla, et par ce moyen il se fit couronner Empereur, et confirma au Pape la donation du Roi Pépin son père, et depuis ce temps-là, par transaction entre le Roi et l’Empereur l’Empire fut partagé et celui d’Occident demeura à Charlemagne, lequel ne voulu pas approuver les décisions du Syode Grec, mais fit un livre intitulé, Traité de Charlemagne contre le Synode Grec, touchant les Images, qui se voit encore aujourd’hui. 89 Et ce qui est décisif pour notre question, c’est que le Roi se maintint par ce moyen en la possession de faire des lois pour l’Eglise dont il y en a plusieurs au livre inscrit, Capituglaires de Charles le Grand. Et à l’exemple de Pépin son père qui avait convoqué un Concile à Bourges, lui aussi en convoqua plusieurs en divers endroits de son Royaume, à Mayence, à Tours, à Reins, à Chaalons, à Arles, et le sixième le plus célèbre de tous fut à Francfort, auquel il assista en personne, fit condamner l’erreur de Félicien, et le Concile de Nice. Or il est nécessaire de remarquer en cet endroit, que l’élection des Evêques, même de celui de Rome, était sujette à la confirmation de l’Empereur*Sigeb. en l’an 773., et à faute de son investiture, ils n’eussent point été consacrées, comme portent les Canons+ Can. Vota. Can. Agatho. 63. dist., où se lit la confirmation de St. Ambroise par l’Empereur Valentinien. De cet ancien droit commun aux Empereurs, vient que Charlemagne ayant partagé l’Empire et transigé avec 90 l’Empereur d’Orient, convoqua un Concile à Rome, afin de faire passer un nouveau titre en sa personne, et une reconnaissance par les Ecclésiastiques, touchant ce droit de confirmer les Evêques, qui appartenait de toute ancienneté aux Empereurs ses Prédécesseurs ; d’où l’on peut voir que c’est mal à propos que les Papes ont voulu qualifier cette déclaration et reconnaissance, du nom, de Privilège et faveur de Rome ou gratification faite au Roi Charles le Grand, car c’est un droit commun, ancien, et divin, et alors furent dressé le Canon Hadrianus, et depuis celui qui se commence in Synodo*Can. Hadrianus Can. In Synode 63. Disinet..
Mais le Cardinal Bellarmin n’a-t-il pas prouvé le contraire, et n’a-t-il pas savamment soutenu que le droit des Empereurs et Rois est fondé sur les bonnes grâces des Papes, et qu’ils n’en peuvent user que tant qu’il leur plaira.
Il est vrai, mais la Doctrine de ce Jésuite est erronée et tout à fait contra 91 contraire aux Canons ainsi que je viens de le faire voir, et comme je le prouverai encore dans la suite.
Voyons donc la suite.
Nous avons donc montré comment les Rois T.C. ont maintenu leurs droits pendant les deux premières Races, auquel temps on ne publiait dans les Chaires point d’autre doctrine que celle des Canons Anciens, qui porte que c’est une paction *générale de la société humaine d’obéir au Prince : Laqu’elle on confirmait par l’exemple du Roi d’Israël qui commanda à Hilkija Souverain sacrificateur, et par le témoignage de St. Hierôme, disant, il faut être fideles +aux Princes et Puissances supérieures, autrement nul ne peut espérer salaire de Dieu. Or entre tous les Rois, les Canonistes mêmes dissent que le Roi de France est le Roi ++ des Rois, qu’il paraît entre les *Can. qua.contra 8. Dist. 93. et in summa dist. c. qui culpatur 23.q.3 textus, et glo. Cap. Si episc. 18. dist. +Cap. Principibus 23.q.4 ++Cardin. Clem. I. pr. de immunir Eccl. 92 autres comme l’Etoile du matin*Felinus cap. Cum non liceat de praser. Bal. Cap. significantib ? de off. delegati. parmi la Nuée. Cette dignité Royale considérée dans ce haut degré d’élévation, a fait que les Canonistes n’ont point fait la difficulté que les Jésuites font aujourd’hui, de reconnaître le Roi pour Vicaire de Jésus-Christ +en son Royaume, et même de le qualifier Dieu corporel, et délégué de Dieu en terre++ Bald. d. loco et de prohib feud. Alien et de Constantia.. Je pourrais même ajouter pour prouver qu’il est bien raisonnable que les Rois T.C. soient indépendants de toute autre Puissance que de Dieu, par les marques et les caractères de Divinité qu’ils possèdent préférablement à tous les autres Princes temporels, Par exemple le don de guérir les écrouelles, l’huile d’onction, les fleurs de lys, et lauriflame, au lieu que toute l’Antiquité fabuleuse, où véritable, n’a donné qu’un Palladium à Troie la fameuse, qu’un Bouclier à Rome la o Bald. Cap. I S. I. de prohib. feud. alien. idem Consil. 415. parti ii 93 superbe, et un signe de croix au Ciel, pour augure de victoire, au bon Empereur Constantin. Les qu’elles prérogatives reconnues par les Papes, ont fait qu’Innocent IV accorda dix jours d’indulgence à ceux qui prieraient pour le Roi*Thom 4. sent. q. 19. art. 3. in fol. ult. ars. gl. in v. teneretur in proc. prag. sanct., et Clément y en ajouta cent autres.
A ce sens nous n’avons donc rien à dire sur le temporel, ni sur le spirituel des Rois de France, et selon vous ils sont tout à fait indépendants du St. Siège.
Senza dubio. Car autant que les Rois de France sont si absolus, de la vient que leur Royaume n’est point compté entre les fiefs, parce qu’ils ne rendent hommage qu’à Dieu, duquel seul leur Couronne relève : et parce que toute autre fidélité présuppose une servitude contraire à cette Souveraineté liberté, aussi les Rois T.C. ne reconnaissent en aucune façon ni l’Empereur, ni l’Empire Romain ; prérogative dont ils ont joui depuis Pharamond premier Roi 94 Rois des Français. Et ce droit leur est d’autant plus incontestable, qu’il a été reconnu par plusieurs Papes, outre qu’il est fondé sur les lois naturelles. Par exemple on convient qu’un bon citoyen doit préférer le salut de sa Patrie à sa propre vie et de ses plus proches ; aussi tient-on qu’il faut obéir au Roi plutôt qu’à son Père naturel d’autant qu’il est le mari*Lucan Pater Urbique maritus Plutar. in institut. Trajani. et Père de la Patrie mère commune des habitants. D’où il s’ensuit que le Cardinal Bellarmin établissant une autre puissance temporelle que celle du Roi, sur son Royaume, qu’il fait les Papes adultères temporels. Or de cette raison fondamentale, ancienne, et naturelle, vient cette décision que, si un Prélat est appelé par son supérieur, et par le Roi en même temps, il doit obéir au Roi plutôt qu’au Prélat+Can. Si Episcopus 18 dist. C. de reb. 12.. Le même est dit d’un Evêque tenant fier du Roi, car il lui doit obéissance plutôt qu’au Pape même, selon qu’enseignent les docteurs anciens contre 95 la nouvelle opinion. Et parce que l’on définit la Loi, une ordonnance du Souverain*Bald. C.i de Constitut. C. constitut 2. dist., il n’appartient qu’au Roi d’en faire, où de les abroger dans tout son Royaume. Car qui est ce qui a le plus d’intérêt de veiller pour tous les membres, que celui qui en est le Chef ?
Pour réfuter ce que vous venez d’avancer, je vous allègue le Canon, Ego Ludovicus, où il est prouvé que la coûtume des Rois est d’envoyer aux Papes leur promettre une amitié de spirituelle filiation.
Cela ne prouve rien parce que cette déférence ne regarde simplement que la charge de Pasteur, qu’exerce le moindre Curé, avec autant de pouvoir que le premier Evêque. Mais quand au Souverain Pontife, il est obligé incontinent âpres son élection d’envoyer, les articles de sa Confession au Roi, qui a droit de la faire examiner par la Sorbonne, reconnaître si elle est Orthodoxe, selon ce qui fut pratiqué par les Papes Pelagius et Boniface VIII. 96 és règnes de Childéric et Philippe le Bel. De cette Puissance souveraine, fondée en droit humain, divin, et ancien, s’ensuit que le Roi T.C. peut de sa propre autorité sans le consentement du Pape*Bonif. in bulla in serta in lib. litial de qua xxx etc., imposer tribut sur les Ecclésiastiques, quoique les Papes prétendent que le seul Roi de France ait ce droit qu’ils appellent privilège ; mais quand cela serait ainsi, ce droit est toujours irrévocable, étant attaché au bien public, et non pas à la personne ; outre que cette imposition se prend par le Roi non-seulement sur le temporel sujet de sa nature à la défense du public, mais aussi sur le reste du revenu Ecclésiastique, selon que le Roi Louis XII leva la dixième des fruits des bénéfices, au temps d’Alexandre VI en l’année 1498. Autant en fit le Roi François I en l’année 1630 au temps de Clément VII. C’est pourquoi la glose de la Clémence+Clem. si beneficiorum. dit que cela se pratique ordinairement en France.
Mazarini, Mazarini, voi chete buono franchezze. 97
Aspettato uno poco. J’ajoute au contraire à ce que je viens de dire à l’avantage des Rois T.C., que Papes ne peuvent imposer, ni lever aucun subside sur les bénéfices : C’est pourquoi la glose du Décret des Annates rapporte que le Roi Louis XII et ses Successeurs ont défendu de telles levées : Et le Roi Charles V. en fit donner Arrête contre le Pape Benoît III. Outre cela le Procureur General du Roi obtint un pareil jugement, l’an 1463 sous le règne de Philippe le Bel. Et quoique selon l’opinion de votre Sainteté, nul Laïc puisse disposer des choses spirituelles, non pas même en faveur de l’Eglise, tant s’en faut que vous leur accordiez le droit de les posséder ; toutefois le Roi T.C. peut et l’un et l’autre, ainsi qu’il a été reconnu au Concile de Bâle, titre+Guag. lib. 7. C. 3. Cap. 2 de Decimis. des Annates. Aussi selon Guaguin ce droit de conférer les bénéfices est tellement Royal, qu’il *Guag. lib. 9. C. 3. et lib. 7. Cap. 3. 98 n’y a rien au Royaume qui appartienne mieux au Roi ; et cela non point en vertu de l’onction, car nonobstant icelle il demeure pur Laïc selon la Doctrine des Canons ; c’est pourquoi le consentement du Roi est nécessaire és élections des Prélats avant qu’ils soient consacrés. Sur ce droit commun, ancien et divin propre à tous Rois sont fondés les Arrêts des Parlements.
Si votre Eminence soutient avec tant de chaleur les droits du Roi T.C il n’y a qu’à conclure tout d’un coup pour abréger, qu’enfin le Roi de France est Pape lui-même dans son Royaume, qu’il a la puissance de lier et de délier, et que par conséquent, il n’est point obligé de reconnaître la Religion Romaine, mais qu’il peut lui-même si bon lui semble former une nouvelle Secte qu’on appellera la Religion de Louis le Grand.
la Religion de Louis le Grand. Remarque ironique visant l'idôlotrie du Roi Soleil et qui crée une pause dans le débat.
Piano, chi va piano santissimo Padre, va sano. Je prie donc votre Sainteté de me vouloir permettre de l’éclaircir à fonds des droits del figlio moi, 99 je me persuade que par là je ferai connaître à votre Sainteté qu’elle n’a pas eu raison de disputer au Roi T.C. les droits de la Régale aussi bien que les antres prérogatives qui ont été concédées à ses Prédécesseurs par les autres Pontifes, et que l’opiniâtreté que votre Sainteté a fait paraître pendant tout le cours de son Pontificat a été très mal fondée.
Voyons donc la suite de votre discours.
J’ajouterai donc à ce que je viens de dire, qu’outre la Collation, le Roi T.C. peut tenir des bénéfices et les posséder*Pavo in repetitie SS. Quia vr. Coll. 3. Cap.. extirpand, de prabendis., et de fait il est qualifié Chanoine de St. Hilaire à Poitiers, de St. Martin à Tours, Angers et Mans. Et quoique le Roi ne reçoives aucun ordre les Canonistes+Gl. Cap. Valentinianus 63. dist. néanmoins tiennent que le Roi Très-Chrétien peut exercer la Charge de Sous-diacre, et que Charles VIII en usa ainsi le Pape célébrant. 100 Aussi précède-t-il tous ses Prélats*Pan. C. de foco copet. Innes Cap. Na verunt de sententia excommun. selon que tiennent Panorme et Innocent, même ils lui doivent hommage lige+ C. minus et ibi Pan. Dcin rejur. Idem super. qui porte fidélité envers et contre tous sans exception. Et pour montrer que c’est en qualité d’Evêques qu’ils se soumettent, c’est que faisant le serment ils ont l’Étole au col++ Gl. V. corporalis cet circa de Elect. Lib. 6. serundum Pan., la main sur l’estomac et l’Evangile devant eux. Mais les Laïcs rendent leur hommage à genoux et les mains jointes. Pour la même raison ils doivent aussi assister le Roi en temps de guerre, outre cela ils peuvent être destitués de leurs fiefs pour félonie. Aussi n’appartient-il qu’au Roi de leur donner grâce en matière de crime, ni de reformer l’Eglise, faisant pour cet effet assembler ses Princes, et les Prélats, sans que l’autorité du Pape y soit requise, comme rapporte Vinc-Cygant, disant avoir reçu des lettres du Roi, avec le commandement de reformer les Cordeliers de la grand’Manche ; de là il faut conclure que 101 le Roi seul, ainsi que le remarque les Docteurs *Canonistes *Carol. de grassalio è nouo jure lib. 2. Regal. qui allegat Cap. propter et gl. v. du cibus. 33. dist. et gl. est vicaire et Lieutenant Général de Dieu dans son Royaume, habens vim Apostoli, ayant même droit d’excommunier. Et quant à sa personne et à ses sujets, le Pape ne les peut ni excommunier, ni anathématiser, ainsi que le confesse même Clément V et Jean X XII Papes.
Par quelle raison sont-ils donc exempts des foudres du Vatican ?
Cyguant en donne la raison + titre de Hostienfis, +Cygaut iract. de factic princ. savoir, que Dieu est le mieux servi et révéré en France, et que la Maison de France est Sainte en foi et en œuvres. Et d’autant que la famille jouit des mêmes droits que son ++Seigneur, ++Cap. Ecclesia. l. 2 q. gl. de la vient que les Officiers et les Ministres du Roi, ne peuvent non plus être anathématisés par les foudres des Papes. C’est pourquoi Charles V l’an 1369 fit inhibitions par Lettres Patentes à tous 102 Prélats et Officiaux de faire ou prononcer censure ou excommunication venant de Rome, és Villes et lieux de son obéissance. Et Charles VII aussi par Lettres Patentes du 2. Septembre 1440 manda à la Cour, du Prévôt de Paris et autres Juges la même chose. Par tous ces témoignages, il se voit clairement que votre Sainteté était mal fondé lorsqu’elle excommunia le Marquis de Lavardin ; que les Droits de Régale et autres dont les Rois de France sont revêtus leur appartiennent par droit divin et l’usage qu’en ont fait les Patriarches, les Rois de Jérusalem la primitive Eglise, Constantin, Justinien, Charlemagne, et leurs Successeurs jusques à ce jour. Conséquemment, que l’on l’appelle mal à propos privilège de l’Eglise Gallicane, ou cas privilégié, car ce ne sont point des faveurs de la Cour de Rome, mais des dons de Dieu, ce n’est point un affranchissement, c’est une ingénuité naturelle de l’Eglise Chrétienne, avant qu’il y eut Pape ni même d’Evêque à Rome, et cela suffit pour rendre ces droits incontestables aux Rois T.C. 103
Quoiqu’il en soit, comme la possession de ces droits a été fortement disputée aux Rois de la troisième Race par mes Prédécesseurs. Je me suis vu obligé de les soutenir, la gloire et l’intérêt du S. Siège m’y engageaient, et tant qu’il a plu à la divine providence de me laisser dans le monde, je me suis déclaré l’ennemi irréconciliable du Roi T.C. je l’ai même menacé de l’excommunier, s’il ne me rendait une obéissance filiale et s’il ne reconnaissait mes Brefs, pour souffrir qu’ils fussent exécutés dans toute leur étendue et vigueur.
Je ne sais si votre Sainteté, avait tout le droit, qu’elle s’imagine d’en user ainsi, comme je viens de le faire voir, attendu que les premiers attentats des Papes, contre l’autorité des Rois de France, ayant commencé en la troisième Race, l’histoire remarque qu’ils se sont néanmoins maintenus en leurs droits jusques à présent, témoin ce qui se passa au couronnement *d’Hugues Capet, *Platine et autres.104 lequel après avoir été reconnu Roi par les Etats, et les lois du Royaume, alla droit à Reims pour se faire sacrer sans se mettre en peine de l’approbation du Pape Jean XII qui voulut dans la suite venger le mépris que Hugues Capet avait fait de son autorité. Cependant comme Hugues Capet était un bon Prince, il ne poussa pas les choses à bout. Mais l’Empereur Henri en usa bien autrement, car étant venu à Rome, il déposa Jean XII qui était un monstre dans l’Eglise, fit élire Léon VIII en sa Place par le Concile qu’il fit assembler, et voulut ensuite que Léon VIII reconnut les droits qui étaient dus à Sa Majesté Impériale suivant les Canons. Je pourrais encore rapporter ici ce qui se passa en l’année 1320 au sujet des démélés qu’eut Philippe IV dit le Bel avec le Pape Boniface VIII lequel écrivit au Roi en ces termes. *Nous *Annales Nicolas Cilet. voulons que tu saches que tu es notre sujet tant au spirituel qu’au temporel. Le Roi lui fit sa réponse qui suit, soit avertie ta très grande sottise et égarée témérité qu’es choses temporelles nous n’avons que Dieu pour supérieur.105Cependant le ressentiment de Philippe IV ne se borna pas là, car ayant commandé à un Seigneur de Languedoc Albigeois, de la Maison de Nogaret de se saisir de ce* *C’est de lui qu’on a dit, Il est entre au Papat, comme un Renard, a régné comme un Lion, et est mort comme un Chien. Pape, il l’enferma dans une prison, où il finit malheureusement ses jours. Ces exemples et un grand nombre d’autres, que nous pourrions rapporter suffisent pour prouver que la France, n’était pas tout à fait si mal fondée, lorsqu’elle vous a voulu disputer l’autorité que vous prétendez sur le temporel des Rois.
Mazarini voi chete troppo franchezze. Mazarin vous êtes trop Français pour parler autrement, et je ne suis pas surpris que vous vous intéressiez si fort à justifier la conduite de la France. Quoique vous ne soyez que trop persuadé, que s’il y a eu des Princes qui nous ont disputé les droits, qui nous ont été de tout temps acquis, et qui nous sont incontestable, ce n’est tout au plus que dans le temps des Schisms.
106 Je n’entre point dans cette discussion, parce que cela nous mènerait trop loin : Mais je sais qu’il s’est passé de règnes où les Rois de France n’ont guère fait de cas des droits des Souverains Pontifes, non plus que des foudres du Vatican. Témoin ce qui est rapporté de François le Grand, ce Prince avait sur les bras l’Empereur, le Roi d’Angleterre, le Duc de Milan, et plusieurs autres Ennemis, et quelque excommunié qu’il fut, cela n’empêcha pas qu’il ne dit hardiment. Que s’il était contraint d’aller en Italie, quérir son absolution, qu’il irait si bien accompagné, qu’on l’envoyerait au devant de lui. Quel traitement fit-on aux Légats du Pape Benoît, qui furent contraints de voir déchirer leurs Bulles devant le Palais en conséquence de l’Arrêt, qui avait été rendu par le Parlement sous le règne de Charles VI* *Papon Arrest. lib. tit. 5. Arrêt 27. ce qui se passa en l’année 1408 le 29 de Juillet. Revenons à Boniface dont la Bulle fut en présence du Roi, jetée dans le feu par le Compte d’Artois, ses Nonces furent constitués 107prisonniers, et l’on fit défenses de porter de l’argent à Rome, ni de s’y pourvoir d’aucuns bénéfices. Outre cela le Roi ayant fait transférer le siège du Pape à Avignon, il y demeura soixante et quatorze ans, pendant lequel temps il y eut six Antipapes, trois en même temps, qui furent tout trois déposés par Sigismond Empereur. Et le Pape Jean XXII ne fut-il pas aussi déposé pour avoir mal à propos excommunié l’Empereur Louis de Bavière. Et du depuis sous le Règne de Louis XI le Pape Eugène, se voulant formaliser de la Pragmatique Sanction dressée au Concile de Bâle, le Roi n’usa-t-il pas du remède souverain, dont ses Prédécesseurs s’étaient servi dans tous les démêlés qu’ils avaient eu avec la Cour de Rome, car il fit défense de jetter de l’argent à Rome. Et afin que votre Sainteté sache que ce n’est peu de chose que cela, c’est qu’il xx mouvée que le Pape tirait de la xxx un* XXX in vita Julii Casaris. million d’or par an, qui xx le tribut que les Romains xxx de toutes les Gaules ; ces xxx bonnes sommes valent s’il 108 me semble bien la peine que les Papes ménagent un peu la France, et qu’ils n’en viennent jamais à des si fâcheuses extrémités, que de rompre avec elle. Je conclu donc que votre Sainteté n’a pas été bien conseillée quand elle a porté les choses si loin. Mais passons aux autres événements.
Quant aux événements arrivez dans l’Europe, del moi tempo, je vous dirai qu’ils sont en si grand nombre que je suis persuadé qu’il n’y a pas eu de siècle si fécond en prodige, ou plutôt en tromperies, perfidies et méchancetés. Vostro figlio sempre perfido et sempre furbo,
Vostro figlio sempre perfido et sempre furbo,Votre fils toujours perfide et toujours rusé
enleva à l’Empire la ville de Strasbourg, en l’année 1681 sous prétexte qu’il ne faisait rien qu’en exécution des Traités de Munster et de Nimègue ; quoique toute l’Europe sache très bien que ses droits sur cette Place, n’avaient point d’autre fondement que l’ambition, et l’avidité insatiable qu’il a toujours eu de ravir le bien d’autrui. Le Marquis de Louvois uno furfante fut celui qui se chargea de cette Négociation,
celui qui se chargea de cette Négociation,Référence à l’annexion de Strasbourg en 1681 après la capitulation de la ville face aux menaces militaires de la France. Louvois se trouve dénoncé comme architecte de la pratique -- avis assez répandu à l’époque.
et par le moyen 109 del la splendore del Louise franchezze, il corrompit les Magistrats, et les porta à la livrer entre les mains du Roi son Maître.
Si j’en dois croire le rapport de Colbert avec qui je m’entretenais il y a quelques jours,
avec qui je m’entretenais il y a quelques jours,Ces arrivées/ départs aident au lecteur de visualiser l’espace dans lequel s’inscrit le dialogue, tout en contribuant une certaine vraisemblance à ce dont ils discutent.
Strasbourg a été de bonne prise pour le Roi. Parce, disait-il, qu’étant une ancienne dépendance de l'Alsace, elle n’avait pu être démembrée de cette Province, sans un notable préjudice pour le Roi T.C. en conséquence de la cession qui lui avait été faite de l’Alsace par les Traités de Munster, et de Nimègue, qu’ainsi par droit de réunion cette Capitale lui devait appartenir.
droit de réunion cette Capitale lui devait appartenir.Il s’agit d’une référence à la politique des réunions , une pratique qui consiste à annexer les “dépendances” des terres annexées en Alsace et en Lorraine, commencée en 1679. Ce processus légal -- ou pseudo-légal, selon les pamphlétaires -- est suivi d’une occupation militaire pour assurer la réunion des terres à la France.
Il scelerato Colbert, a mal informé votre Eminence, parce qu’il est reconnu de toute la terre que cette Ville a été libre, et indépendante depuis plus de deux cent ans, et que le Roi T.C. lui-même l’a reconnue pour telle jusques au jour présent, ainsi que l’expérience l’a fait voir. Mais que dira votre Eminence de la ville et forteresse de Casal, la sbarra 110 et la porta della Italia. Le Roi T.C. pouvait-il en bonne conscience l’acheter du Duc de Mantoue sans l’aveu de l’Empereur, puisqu’elle est un fief de l’Empire, la Bulle d’Or ne l’y obligeait-il pas. Mais vestro figlio, un humo fatto ad ogni cosa, se moquant de toutes ces formalités, fit compter deux millions cinq cent mille livres, et s’en empara sans se mettre en peine si cela déplaisait à l’Empereur ou non. La suite à bien fait voir à tous les Princes Ultramontains que si le Duc de Mantoue, avait vendu sa liberté en vendant la capitale de ses Etats, ils n’avaient qu’à se préparer à subir bientôt âpres le joug de la France. Effectivement le Roi T.C. s’étant rendu Maitre de la barrière qui les mettaient à l’abri de son ambitieuse domination, n’a fait dans la suite que troubler le repos de l’Italie, et je ne pense pas qu’il y ait de Prince, d’État ou de République à qui il n’ait fait des nouvelles affaires, témoin le Duché de Milan, la République de Gênes, et l’Etat Ecclésiastique dont j’ai ressenti les plus cruels effets
le Duché de Milan, la République de Gênes, et l’Etat Ecclésiastique dont j’ai ressenti les plus cruels effets Les territoires évoqués ci-dessus sont bombardés par la France en 1684 ?
tout le temps de mon Pontificat. J’en appelle à 111 témoin tous les Cardinaux du Sacré Collège nos Confrères. Je vous demande si après tant d’outrages sanglants, nous avons eu sujet d’être amis de cette Couronne, et si je n’étais pas en droit de l’excommunier,
l’excommunier,Les rumeurs circulaient à l’époque que le Pape avait excommunié le Roi très Chrétien.
et de lancer sur sa personne les plus terribles foudres du Vatican, ma uno poco di patientia.
Ma mio Santissimo Padre. Mais je vous prie Saint Père, que ces ressentiments particuliers n’interrompent point le récit, et la suite de tant d’évènements, que je vous supplie de m’apprendre.
Je ne savais qu’avec une extrême douleur satisfaire à votre curiosité, et quand je repasse dans mon esprit tant de perfidies, de Traités rompus, des Paix violées, et de cruels outrages, dont toute la Chrétienté gémit présentement, je suis dans des peines plus cruelles que celles de l’Enfer. Pour revenir donc à notre sujet, puisque vous le souhaitez, nous dirons un mot des Duchés des deux Ponts, et de Montbéliard. Le Roi T.C. ayant érigé la célèbre Chambre de Justice de Metz questo monstro (p) Che divora et inghiotte tutte ; monstre qui dévore et engloutit tous les Etats qui sont à sa bienséance, l’on fit signifier au Prince de Montbéliard et au Roi de Suède qu’ils devaient rendre foi, et hommage à la France, parce que ces deux Duchés étaient fiefs mouvants de l’Évêché de Metz ; et parce que ces deux Princes refusèrent de subir l’esclavage de la France, sans autre formalité, ils en furent dépouillés. Le Roi T.C. en revêtit le Prince de Birkenfeld, qui n’eut pas de la peine à subir le joug de dépendance et de soumission, pour des Etats qui ne lui appartenaient pas, et dont le Roi T.C. lui faisaient présent, ainsi voilà il Re vestro figlio, sempre perfido et sempre ingannatore.
Ma Santissmo Padre Odescalchy. Mais St. Pere si je ne me trompe, il me semble d’avoir entendu dire à Colbert mio benevolo amico, que le Roi T.C. n’avait point eu d’autre dessein dans cette affaire que celui de conserver ces deux Duchés, jusques à ce que le Roi de Suède, et le Duc Adolphe son Oncle se fussent réconciliés, et eussent terminé les 113 différents qui étaient en question, et qui faisaient qu’on ne savait à qui le Duché des Deux Ponts devait appartenir. Cela étant ainsi le Roi T.C. n’a pas eu tout le tort que vous lui attribuez, puisqu’il s’emparait d’un bien qui n’avait point de Maître.
O ! humo dà bene, o ! l’homme de bien. Si cela est ainsi d’où vient donc que le Roi T.C. ne la pas rendu à celui à qui il appartenait lorsque les différents de ces deux Princes ont été terminés ? et d’où vient qu’il en a fait présent au Prince de Birkenfeld ; quel droit avait-il de donner à un autre, un bien qui ne lui apparentait pas ? Avouez donc avec moi, que l’ambition insatiable de ravir le bien d’autrui a fait agir dans cette affaire, il vestro figlio sempre perfido et sempre furbo.
Mais voyons la suite ?
La suite ne veut pas plus que le commencement, et ce Prince* hombre para todo, ne respectant ni Dieu, ni Diable, m’attaqua de nouveau *En Espagnol, qui est à tout faire. 114 , et me déclara en l’année 1681 la plus cruelle guerre qu’aucun Prince Chrétien, ait jamais fait contre aucun Prince spirituel. Je veux dire que l’Archevêque de Paris Esclave s’il en fut jamais, lorsqu’il s’agit de sacrifier les intérêts de l’Eglise à ceux du Roi son Maître, se moquant de mes Brefs, par lesquels je disputais à cette Couronne les Droits de la Régale, fit bien voir par la conduite qu’il tint âpres la mort de l’Évêque de Parries, et au sujet des Religieuses de Charonne, qu’il était Pape en France, tandis que je l’étais à Rome. Mais pour ne plus entretenir votre Eminence sur des faits qui me regardèrent personne Nemeut, vous ayant déjà assez fait connaître, combien j’ai sujet de me plaindre des outrages que j’ai reçu du fils aîné de l’Eglise, je dirai seulement pour faire l’éloge de cette conduite, que tandis que il figlio vestro sempre perfiod et semprè * calcitraso, attaquai ainsi le Saint Siège, et me persécutait à outrance, témoin les larmes que j’ai mille, et mille fois versées dans le giron de l’Eglise, d’un autre côté *Remuant 115 pour se réconcilier avec cette Sainte Mère, ou plutôt pour tromper tous les fidèles Chrétiens, et faire illusion à toute la Chrétienete, il fasait souffrir aux Religionnaires de son Royaume les maux les plus cruels, et les plus barabares ; conduite qui fera honte dans les siècles à venir à tous les Princes qui porteront le nom de Très –Chrétien, et de fils aîné de l’Eglise. Je ne m’étendrai point à vous faire le récit de toutes les misères qui suivirent la révocation de l’Edit de nantes, parce que je suis persuadé que les Ames d’un grand nombre de cex malheureux, qui ont passé le fleuve, n’auront pas maqué de vous en instruire, et même de vous reprocher en face, comme il le disent tout haut dans le monde, que vous êtes il monstro abominevole, dont leur Monarque a appris tant de belles choses. J’ajouterai seulement ici que je ne l’ai jamais approuvé, quoique le Roi T.C. fit sonner bien haut son zèle, et que l’Avocat Talou dit en Plein Parlement que ce Monarque venait de réunir plusieurs millions d’Ames à l’Eglise, et l’Évêque de Maux ajoutait admirez Chrétiens 116 ces voies de Lis et de Roses, dont Sa Majesté vient de se servir pour la conversion de tant d’hérétiques. Je demande à votre Eminence, quel rapport il y a des Apôtre qui ont prêché l’Evangile, et converti les peuples par la douceur et l’humanité, à des Dragons qui tenant le flambeau d’une main, et l’épée nue de l’autre ont été les Ministres de cette détestable Mission : Que ! des Blasphèmes : Que ! des Sacrilèges, j’ai horreur quand j’y songe. Cependant le fils aîné de l’Eglise me faisant solliciter à Rome par ses Ambassadeurs de vouloir souscrire à toutes ces cruautés, sur le refus que j’en fis, il m’a traité de Partial, de Moliniste, de Schismatique, de Janséniste, et même de Huguenot. MAZARIN Moi Santissmo Padre, nous n’aurions jamais fait, s’il fallait examiner à fonds les démêlés particuliers, que vous avez eu con figlio mio. Je vous ai déjà expliqué mes sentiments la dessus : et la ostinatione di vostra Santità, a été la source de tous ces emportements. Passons je vous prie aux autres évènements. Le temps qui nous reste est court. 117
Toute l’Europe se flattait, après la Paix de Nimègue que, il figlio vestro, après avoir uni au Domaine de la Couronne de France, tant de beaux Etats, et de belles Provinces, que les Princes ligués avaient été contraints de lui céder par ce Traité : Que rassasié dis-je de tant de Conquêtes, il donnerait enfin des bornes à son ambition ; mais comme il est né insatiable, l’expérience nous fit voir en l’année 1683 que cette passion ne devait finir qu’avec son règne. Ainsi sempre perfido et sempre volontarioso d’honore, il déclara la guerre à l’Espagne, fit entrer ses Armés sous la conduite du Maréchal d’Humières dans les Pays-Bas, s’empara de Courtrai, et fit porter le feu et la désolation jusques aux portes de Mons, en réduisant en cendres tous les villages, et même ceux qui étaient au delà de Bruxelles.
Mais l’Espagne n’avait-elle pas elle-même déjà donné lieu à tous ces désordres.
Quand la Cour d’Espagne en porta 118 ses plaintes, il vestro figlio, n’eut point d’autre raison pour justifier sa conduite, si ce n’est que le Gouverneur des Pais Bas avait commis des hostilités sur ses sujets, prétexte d’autant plus chimérique, que les Espagnols lassez de la guerre précédente ne songeaient à rien moins qu’à donner des nouveaux ombrages à la France ; mais comme le Proverbe dit qu’Avignon est, il culo di Papa ; la Principauté d’Orange, il culo des Princes de ce nom, il me semble que l’on pourrait aussi dire que les Pays Bas sont le cu des Rois d’Espagne, de sorte que quand les Rois T.C. ont envie de fouetter les Princes de cette Maison leur ennemie irréconciliable, ils s’en prennent d’ahort aux Pays Bas Espagnols leurs plus proches voisins. N’était-ce pas là un beau prétexte pour renouveler la guerre, et rallumer des torches qui fumaient encore et qui n’avaient été éteintes que depuis trois ans, après avoir ravagé toute la Chrétienté depuis l’année 1672.
Si cela est ainsi, j’avoue, che il figlio mio, avait une terrible démangeaison, del macare di fédé. 119
Ma aspettato uno poco, mais un peu de patience. A peine ce feu fut éteint, que l’année suivante le roi T.C. le ralluma par des nouvelles entreprises, qu’il forma sur l’importante ville de Luxembourg la Clé de toute l’Allemagne ; et tandis que tous les Princes de l’Europe se reposaient sur la bonne foi du dernière Traité, il monstro del ambitione che non è mai satio, se réveilla. De sorte que ce Monarque ayant fait marcher une puissante Armée, sous le commandement du Maréchal de Créqui, on mi le siege devant Luxembourg, qui se rendit faute de secours dans le sein de la paix, tandis que tous les Princes Alliés de l’Espagne, qui avaient mis les armes bas, furent contraints d’être simples spectateurs de ce nouvel attentat, qui portait un coup mortel à leur liberté.
A propos de ce siège, je me ressouviens d’avoir eu quelques moments de conversation sur les bords du Styx, avec le Marquis d’Humières fils du Maréchal, je le rencontrai comme il venait de passer la Barque 120 de Caron, et lui ayant demandé quel était le sujet, qui lui avait fait quitter le monde à la fleur de son âge, me répondît par des soupirs, que c’était bien malgré lui, mais que la gloire du Roi mon fils et sa propre fortune l’ayant porté à s’exposer un peu trop au siège de cette place, cela lui avait couté la vie ; qu’enfin il avait quitté le monde en laissant son père dans le dernier accablement de l’avoir perdu, et que son affliction était d’autant plus grande et plus sensible, qu’il était le fils unique de sa famille. Je lui fit plusieurs questions sur l’état auquel il avait laissé les affaires de la Chrétienté, mais le Dieu des Enfers lui ayant envoyé ordre de se rendre promptement à la Cour Infernale, nous fumes contraints de nous séparer, et du depuis je ne l’ai pas revu… Je mourais cependant d’envie d’apprendre de lui les particularités de ce siège, et les motifs qui avaient porté le Roi à l’entreprendre. Mais sans nous arrêter plus longtemps ici, continuez je vous prie le récit des autres Événements.
Je vous dirai donc que le Roi 121 T.C. continuant ses brigandages et ses cruautés dans les Pays Bas Espagnols ogni la Christianità peina di timore tremblait sous le poids de ses armes victorieuses et triomphantes, l’Italie même n’était pas à couvert de ce foudre de guerre ; témoin le cruel traitement qu’il fit faire à la Sérénissime République de Gênes notre Alliée, par son armé Navalle. Car le Marquis de Seignelay ayant eu ordre de ce Prince de s’embarquer à la tête d’une formidable flotte la terreur de toute la Méditerranée, s’avança jusques sur les côtes de cette République, et ayant mouillé l’encre à la portée du Canon de cette Ville avec un grand nombre de Galiotes propres à bombarder, réduisit en cendres ses plus superbes Palais ; toute la Ville fut en feu, les Monastères et les lieux Saints n’en furent point exempts ; les Religieux et les Religieuses aussi bien que les autres peuples furent contraints de se sauver et d’aller chercher asile dans les montagnes et les déserts ; femmes et enfants, tout était dans la dernière désolation ; et quand j’y songe les larmes me viennent aux yeux. 122
Ma moi santissmo Padre, je ne pense pas que il Ré Christianissmo figlio mio, se porta à de tels excès, si Genova la souperba n’eut poussé à bout le ressentiment de ce Prince par quelque cruel attentat.
Tutto cio che è, c’est que cette République refusait d’obéir à ce Prince, qu’elle était trop puissante, et que pour faire trembler tous les autres Etats d’Italie et rendre son nom la terreur de cette partie de la Chrétienté, comme il l’était déjà du reste de l’Univers, il fallait dis-je que cette République devint la victime de son ambition et de sa cruauté, qu’elle le servit d’exemple aux atrs Princes Ultramontains, et qu’elle les avertît tacitement que Louis le Grand était le Monarque Universel et le Jupiter de son siècle qui commandait à toute la terre ; qu’ainsi tous les autres Princes de la Chrétienté trop heureux d’être ses Vassaux et de reconnaître il monarchia Universale, di grande Ludovico n’avaient plus qu’à vivre dans une entière soumission. 123
Cosi, si cela est ainsi, je désapprouve la conduite del figlio mio dans cette rencontre.
Ce n’est pas tout ; après cette Barbarie, le Roi T.C. non content d’avoir ruiné cette République et de l’avoir ainsi humiliée, il voulut encore qu’elle lui fut tributaire, et que son Doge suivi de quatre Sénateurs s’en vint en France lui rendre ses très humbles hommages ; et quoi qu’il soit porté par les statuts et les lois de la République, que le Doge sortant de Gênes est déchu de la Souveraineté ; Cependant ce Monarque voulut que cette qualité lui fut conservé et qu’il fut Doge aussi bien à Paris qu’il l’était à Gênes. Pour cet effet il voulut qu’il lui parler la tête couverte, et les quatre Sénateurs découverts étant en Robes de Cérémonie. Après cette démarche qui couvrira à jamais cette République de honte, et d’infamie, ce Prince renvoya le Doge, et lui dit en partant qu’il apprit à obéir et à révérer les ordres du plus grand Monarque de toute la Chrétienté. 124
O ! Maraviglia. Ma Santissimo Padre : Comment se terminèrent enfin les nouveaux différents survenus entre les deux Maisons ?
La France s’étant donc emparée de Luxembourg, comme je l’ai dit, et l’Espagne se voyant perpétuellement fatiguée par mille et mille cruautés, per la ambitione di Franchezzi, fut enfin contrainte de souscrire à une Trêve de 20 ans que le Roi T.C. lui proposa ; et par ce Traité qui n’était qu’un leurre dont ce Prince couvrait son ambition, la Province de Luxembourg, Beaumont, Bouvines et Chimay lui furent cédés. Les Provinces Unies, aussi bien que l’Empire consentirent pareillement à la Trêve, dans l’espérance, que ce dernier Traité mettrait enfin des bornes à l’insatiabilité de ce Monarque. Toutes les Puissances de l’Europe mirent donc encore les armes bas pour la troisième fois, et les peuples se flattant de jouir d’un long repos commençaient à se réjoui venir le jour qui venait de xxx tant de Souverain, et ter- 125 miner des différents qui étaient à la veille de rallumer une sanglante guerre.
Voilà donc la Paix encore une fois conclue.
Si Signore, ma per poco tempo. Car votre Monarque ayant trouvé le moyen quelques années auparavant de s’allier con lo Principe Musulmano, lo destabile nemico de tutti li popoli che crede in Christo, suivant les principes que vous lui aviez donné. Tous les Princes Chrétiens se visent encore obligés de reprendre les armes qu’ils venaient à peine de quitter, pour venir au secours de lo Imperatore Leopoldo, et de l’Empire, dont la Capitale était assiégé par toutes les forces Ottomanes.
Come va la cosa ?
Come va la cosa ? per la scleratezza et lo manco di fedeltà del Re Christianissmo. Car ce Monarque après avoir désolé les Etats de ses voisins, et réduit les Princes Chrétiens qui étaient en état de s’opposer à ses desseins 126 dans l’impuissance d’assembler des forces capables de lui disputer le terrein, à quoi il était facilement parvenu, par les continuelles infractions de tous les Traités qu’il avait conclu avec eux, ainsi que je viens de vous le représenter. Voyant dis-je que tout pliait à sa puissance, et que toute l’Europe lasse et fatiguée de la guerre, se reposait sur la bonne foi du dernier Traité qui était celui de Nimègue, crut qu’il n’y avait plus de temps à perdre, et que sa bonne fortune l’avertissait qu’il fallait pousser à bout la roue, en faisant éclater le Chef-d’œuvre de son Regne ; ce Chef’d’eouvre est la Monarchia Universale del grande Ludovico : Monstre s’il en fut jamais, et qui avait été enseveli dans l’oubli, depuis le Regne des Charles-Quint jusques à nos jours.
Per Diavolo ! Comment il Re Ludovico XIV figlio mio aspirait à la Monarchie Universelle ?
Si Signore è cosa certa, pour certain. 127
Ma Come questo, mais comment cela ?
Voici comment. Le Compte Tekeli s’étant rendu incognito à la Cour de France, le Roi T.C. fit un Traité avec lui, par lequel, il s’engageait de lui fournir l’argent et tout ce qui serait nécessaire pour soutenir la guerre en Hongrie ; et celui-ci de son côté s’engagea de persuader le Turc à porter ses armes dans l’Empire en rompant la Trêve qui était entre les deux Empereurs. La révolte des Hongrais Protestants devait donner le premier branle à ce monstre d’ambition. Par le Traité qui fut fait peu de temps âpres entre le Sultan et le Roi T.C. il fut conclu, que la Porte débuterait d’abord par le Siege de Vienne, capitale de l’Empire, en faisant marcher devant cette importante Place, le boulevard de toute la Chrétienté, une armée de deux cent mille Combattants ; que le Roi, T.C. fournirait pour cette expédition quatre millions qui lui seraient comptés à Constantinople, par M. de 128 Châteauneuf son Ambassadeur, le premier jour de la marche de l’Armée Ottomane ; qu’outre cela le Roi T.C. lui fournirait un bon nombre d’Officiers Français experimentés, aussi bien que des Ingénenieurs, un beau train d’Artillerie et les munitions dont il aurait besoin, en les faisant transporter par la Mediterranée des Prots de Marseille et de Toulon aux havres de sa Hautesse à Constantinople. Ce qui fut promptement et fidèlement executé de la part du Roi T.C.
Moi Dio ? moi santissmo Padre ? que m’apprenez-vous là .
Ma uno poco di patientia. Après ces préliminaires, il fut encore conclu, que tandis que le Sultan ravagerait l’Empire, et porterait le feu, le fer et la désolation par toute la Chrétienté, le Fils Ainé de l’Eglise, serait spectateur sur le Rhin à la tête d’une puissante armée, tant pour faire diversion des Armes de l’Empereur Chrétien, que pour donner de l’ombrage aux autres Princes Membres de l’Empire, et 129 les empêcher par là d’aller au secours de Vienne.
Mais qu’est-ce que revenait à mon fils de tout cela ?
Molto. Ma aspettato uno poco. Il fut encore conclu par le même Traité de Confédération, qu’après la prise de la Capitale de toute l’Allemagne, l’Empire serait partagé entre l’Empereur Ottoman et son Allié il Re Christianissimo. LE fils ainé de l’Eglise se réservant en ce cas, qu’il lui serait permis de faire couronner Monseigneur le Dauphin son fils Roi des Romains, pour posséder à perpétuité la partie de l’Empire qui lui écherait suivant le partage qui en serait fait, et dont on conviendrait dans la suite, après la réduction entière de toute l’Allemagne.
Per Diavolo ? voilà des terribles evenements.
Si signore : Ma anchora uno poco di patientia. 130
Compito dunque vostro discorso. Voyons donc la fin ?
Tandis que cette sanglante Tragédie se jouait, l’Empereur qui ne savait où donner de la tête, et qui se voyait à la veille de perdre tous ses Etats avec la Couronne Impériale ; outre qu’il ne savait encore rien de tous les mystères que contenait l’Alliance conclue entre le Sultan et la France turbanisée, parce qu’elle avait été tenue fort secrète, ne fit point façon de s’adresser au fils Ainé de l’Eglise, en le faisant prier de lui vouloir donner du secours. Ce grand Prince infortuné lui fit représenter la désolation et la ruine entière de toute la Chrétienté, s’il refusait aux larmes de l’Église et aux prières pressantes de tous les Princes Chrétiens ses frères, une prompte alliance. Ma il Re Ludovico indemoniato, qui n’avait rien en vue que ses grands desseins, bien loin de compatir aux calamités et aux malheurs qui affligeait l’Europe Chrétienne, fit allumer des feux de joie, 131 et de réjouissance dans la capitale de son Royaume.
Comment, il refusa ce secours aux larmes de l’Eglise et aux instantes prières de tous les Princes Chrétiens, contre les infidèles ? O ! la perfidia. O ! la scelératezza.
No signore. Le fils ainé de l’Eglise est trop bon Chrétien et trop sensible pour cela.
Come dunque : Comment donc ?
Come questo. Le voici, c’est que le Roi T.C. fit réponse à l’Empereur, qu’il était prête d’envoyer à son secours un corps de trente mille hommes, à condition que sa Majesté Impériale permettrait que ce corps fut commandé par un Chef Français, et qu’il agirait séparément, sans être divisé, ni joint au reste des troupes Impériales ; ne sont ce pas là des belles offres ?
Senza dubbio ; sans doute.
Belles en apparence, mais voyons 132 la fin et le but qu’avait le Roi T.C. en faisant de semblables propositions ; son but était de faire passer ce corps d’Armée composé de ses meilleures troupes dans le cœur de l’Empire, âpres avoir donné ordre sous main au Général qui les commanderait de se joindre à l’Armée Infidèle, pour agir conjointement avec elle à la ruine de la Chrétienté et de tous les Princes Chrétiens.
è egli vero, est-il vrai ?
Si Signore per certo
O ! la perfidia, O ! la sceleratezza. Mais comment l’Empereur se tirât-il d’un péril si éminent ?
Avec des peines inconcevables, et je puis dire sans vanité avoir été celui qui a le plus contribué à sa délivrance et à celle de toute la Chrétienté. Car dès aussitôt que j’eu appris le déplorable état où l’Empire se trouvait réduit par le siège de Vienne, et l’appréhension que toute l’Europe Chrétienne avait que l’Empereur Turc ne s’en rendit maître, 133 et n’arbora ensuite le Croissant et l’Étendard, de l’infâme Mahomet sur toutes les Eglises de l’Empire. Touché dis-je sensiblement des malheurs qui affligeaient le Christianisme j’écrivis avec des larmes du sang au Roi de Pologne et à tous les Princes et Electeurs de l’Allemagne, pour les exhorter à prendre promptement les armes pour venir au secours de cette Capitale ; j’ouvris même les Trésors de l’Eglise, et je répandis à plaines mains toutes les richesses de St. Pierre pour lever une puissante armée, de sorte que le Roi de Pologne Prince vaillant et courageux s’il en fut jamais, s’étant laissé fléchir par mes larmes et par mes prières, se mit à la tête de l’Armée Chrétienne composée des troupes auxiliaires des Princes de l’Empire, et marcha soutenu des Electeurs contre les Ottomans, qu’il défit par une mémorable bataille où il resta plus de cent mille hommes sur la place ; ainsi Dieu vint au secours de mon fils l’Empereur Léopold, et trompa les malheureuses espérances que le fils ainé de l’Eglise avait conçues 134 de la totale ruine de ce pieux et zelé Prince.
O la cosa miracolosa ! O la gran maraviglia !
*Maraviglia non pensata, et qui couvriront à jamais de honte et d’infamie il Re Christianissimo. Après cette signalée victoire il ne s’est jamais rien vu de plus grand et de plus éclatant que la joie et les réjouissances publiques des peuples et des Princes Chrétiens qui y avaient eu part, et qui s’étaient intéressés à la délivrance de la Chrétienté ; comme aussi il n’y avait rien de plus pitoyable et de plus lamentable que la déroute d’un nombre innombrable d’Infidèles dont toute la Campagne à dix lieux à la ronde était couverte criant à plein gosier la alla illha a mehemt rasoul ; appelant à leur secours le Dieu grand, et le grand Prophète Mahomet.
Ma santissimo Padre ; apprenez-moi je vous prie, qu’elle a été la suite d’un si grand evenement ? *Merveilles 135
Je serais trop long, si je voulais rapporter ici tous les combats et les batailles sanglantes qui se sont encore données du depuis, aussi bien que tous les sièges, et les prises des Villes qui ont été les fruits des travaux des Chrétiens Victorieux, qui n’ont fait du depuis qu’entasser conquêtes sur conquêtes et remporter victoire sur victoire. Les plaines de Hongrie regorgent encore du sang des Infidèles, et c’est là où nos braves Impériaux Chrétiens ont cueilli un grand nombre de lauriers qui les conduisent à l’immortalité, témoin le brave Lorraine la gloire de son siècle, que vous avez sans doute rencontré dans ces lieux, lorsqu’il a passé la Barque.
Non je ne l’ai pas vu ce pauvre Prince ; apprenez-moi, je vous prie, le sort fatal qui l’a ravi du monde à la fleur de son âge.
Molto piange, je verse des larmes quand j’y songe.
Ma ancora, mais encore, est-il mort 136 de maladie, ou bien dans quelque combat ?
Nò Signore, per lo veleno, par le poison.
A Dios, per lo veleno ? par le poison, mon Dieu ?
Si Signore per lo veleno.
Cosi dunque, comment donc ?
Cosi des fripons de Moines l’ont empoisonné, ce magnanime Prince dans un temps où il avait rendu des grands services à la Chrétienté, et dans un temps où il était a la veille de rentrer dans ses Etats chargé de gloire et de lauriers qu’il venait de moissonner par ses victoires sur le Danube et sur le Rhin. La France jalouse m’impose silence la dessus, parlons d’autre choses. Cosi, la France jalouse, il Re Christianissimo figlio mio, aurait-il eu quelque part dans une si détestable action. 137
Per Dios, questo è senza dubbio.
O fatto maleditto.
Brisons là et n’en parlons plus. Pour revenir donc au récit des évènements qui se sont passés del mio tempo, je vous dirai que le Roi T.C. voyant que la fortune l’avait abandonnée du côté de l’Empire au milieu de sa plus belle carrière, par le mauvais succès que les armes Ottomanes avaient eu, ne songeas plus qu’à réparer ce contretemps (qui venait de fâcher ses plus belles espérances dans un moment), par une fermeté inébranlable, par une politique admirable selon le monde, et par un air de mépris et de domination qui imposait beaucoup sur l’esprit des peuples, semblable aux joueurs habiles qui ne se déconcertent point pour avoir perdu une fois. J’avoue que cette méthode est admirable, mais peu solide, tous ces airs apparents d’une politique feinte, ne guérissent jamais le cœur des alarmes mortelles, et des maux qu’il ressent, lorsque la fortune lui fait 138 faux bond, et qu’elle l’abandonne au milieu des triomphes et de victoires, pour le couvrir de honte et d’infamie. Je vous laisse à penser qu’elle fut sa mortification, lorsqu’il vit arriver à Versailles le courrier qui lui apportait une si triste nouvelle. Il est vrai que l’irruption des Infidèles dans l’Empire, lui avait déjà couté bien des millions, mais que n’aurait-il pas donné pour se délivrer du mortel déplaisir qu’il ressentit en apprenant leur fatal déroute : il aurait sans doute sacrifié son domaine, et pour le moins la moitié des revenus de la Couronne, pourvu cependant que l’Europe Chrétienne n’en eut rien su, car c’est un Prince qui aime le secret, et à qui le mal ne fait point de la peine, pourvu qu’il soit assuré qu’il en impose aux esprits crédules. Qu’importe dit-il de faire du mal, pourvu qu’en apparence je passe pour un Prince zélé pour la Religion, pour l’extirpateur des Hérétiques et le défenseur de la foi. O ! mio Dio quelle Hipocrita !
In vero, figlio mio fa Cose grandi 139 et maraviglia ; en vérité il faut avouer que mon fils fait des choses surprenantes.
Si signore ; ma aspettato il fine ; il est vrai, mais voyons la fin. Il Re Christianissimo, avait comme nous avons dit conclu une Trêve de 20 années avec l’Espagne laquelle fut ratifiée le 20 de Septembre de l’année 1684. C’est à dire quatre ou cinq mois après la prise de Luxembourg. Les Provinces Unies se flattant de jouir d’un long repos, et d’accroitre pendant ce temps-là leurs richesses, par la liberté de leur commerce que la paix rend florissant, consentirent aussi à la Trêve. L’Empereur, qui voyait ses coffres épuisés de finances, que la guerre de Hongrie lui coutait, fut pareillement bien aisé d’acheter la paix du côté du Rhin, aimant mieux sacrifier une partie du ressentiment qui le rendait irréconciliable pour jamais avec la France sa mortelle ennemie, que de s’engager tout à la fois à soutenir la guerre contre la Porte et le Roi T.C. son Allié ; la bonne Politique voulait qu’il usât de ce tempérament, 140 et qu’il temporisât avec l’un, tandis qu’il rangerait l’autre à la raison : Ainsi Lo Imporatere Leopoldo, accablé des chagrins et des inquiétudes que la guerre du Turc lui donnait, se résolut enfin à signer cette Trêve, quoiqu’il fut bien persuadé que ce masque trompeur quelque serpent dangereux, ainsi que l’expérience l’a fait voir.
Comment entendez-vous cela ?
Je l’entends, en ce que, il Re Christianissimo, voyant qu’il y avait plus à gagner pour lui pendant la Paix, que dans une guerre ouverte, suivant ses premières maximes, et la route qu’il avait tenue depuis la Paix des Pyrénées sempre pigliare et niente rendere ; qui était de prendre toujours à bon compte et de ne rien rendre, s’imagina qu’en proposant une Trêve de 20 ans à des Princes lassés de la guerre, et qui avaient conçu des terribles ombrages de la grandeur de sa puissance, s’estimeraient encore trop heureux, s’ils pouvaient l’obtenir, et se délivrer 141 pour une bonne fois, du moins pendant cet espace de temps, des outrages et des querelles perpétuelles que ce Monarque remuant leur faisait. Outre que la confiance que la plupart de ces Puissances avaient, que pendant les susdites 20 années, il serait arrivé quelque révolution dans l’Europe, les portait à se déterminer à souscrire aveuglement à ce Traité, ne doutant nullement qu’il n’arrivât dans le monde par la mort de ce Monarque, ou de quelque autre Prince, quelque contre temps capable d’humilier la France, et de la faire descendre de ce haut degré d’élévation où elle était montée. Ainsi le Roi T.C. n’eut pas de la peine à les porter à l’accepter.
Ma Santissimo Padre, est-il possible qu’il n’y eut point de Prince, ou de Puissance dans l’Europe, qui fut pour lors en état de faire tête à mon fils il Re Christianissimo.
Nò Signore.
Come nò ; comment non ? 142
Nò, non. La Maison d’Autriche n’est plus ce qu’elle a été sous les Règnes des Charles-Quint et des Philippes II ; il ne fallait pour lorsqu’un de ces Princes pour ranger à la raison les Rois Très Chrétiens, au lieu que présentement, l’union même des deux Princes leurs Successeurs ne peut rien contre la France.
Come questo, comment cela ?
L’un et l’autre sont trop bons Princes, et aiment trop le repos et la tranquillité, se reposant de toutes les affaires de leur gouvernement sur le Conseil des Ministres, bien souvent Pensionnaires de la France, qui sacrifient leurs Maitres et leurs Etats au plus offrant, n’ayant pour Idole que leur propre fortune, et li abominevole Louize di Franchezzi.
Il faut donc qu’il règne présentement une étrange corruption parmi les hommes.
Si grande che non è da credere. Si 143 grande qu’elle n’est pas croyable
Mais du moins si la Maison d’Autriche n’était pas capable toute seule, de s’opposer aux attenants du Roi T.C., vous conviendrez avec moi, que comme il s’agissait du repos de toute l’Europe, et de la conservation des Etats Voisins de la France ; il était par conséquent de l’intérêt de tous les Princes en général de former une puissante ligue, par l’union de toutes leurs forces, pour obliger le Roi T.C. les armes à la main, à tenir sa parole, et à ne point violer les Traités qu’il avait conclus.
Questo è vero, je l’avoue, et si j’avais été cru dans le commencement, comme je l’ai été dans la suite, les affaires n’en seraient jamais venues à l’extrémité où je les ai laissées en partant du monde.
Come Dunque, comment donc ?
J’ai écrit mille fois à l’Empereur, et au Roi Catholique sur ce sujet, et je puis dire sans vanité que j’ai pris tous les soins imaginables pour les 144 porter à ce que vous dites ; parce que je connaissais le fonds des affaires, et que je voyais effectivement, qu’il n’y avait rien au monde, qui fut capable d’arrêter ce torrent impétueux d’ambition, qu’une puissante Confédération entre tous les Princes Chrétiens, attendu que l’impuissance de la Maison d’Autriche, ne permettait pas qu’elle seule entreprit un si grand dessein. J’ai même affecté tout le temps de mon Pontificat, d’entretenir quelques liaisons avec les Princes Protestants, dans la vue de les faire entrer dans cette Ligue ; aussi pendant mon règne, on ne faisait point difficulté de m’appeler le Pape des Huguenots, et les Huguenots réciproquement m’appelaient leur Patron et leur Protecteur. Des raisons politiques m’ont engagé à en agir ainsi, parce qu’effectivement, je voyais qu’il était impossible aux Princes Catholiques, de se pouvoir passer d’eux, et de leur secours, pour former une ligue qui fut capable d’humilier la France. Il y a dix ans que j’ai travaillé à cette importante affaire sans jamais avoir pu réussi jusques à ce jour, comme je 145 vous le rapporterai dans la suite.
Santissimo Padre, Je ne saurais garder plus longtemps le silence sur une chose que vous venez d’avancer, parce que la délicatesse de ma conscience ne me le permet pas.
Questo ? Quoi ?
C’est que dans le commencement de cette conversation, lorsque vous m’avez fait le récit des sujets de plainte que vous aviez contre la France, et surtout des cruels outrages dont le Roi T.C. avait chargé votre Sainteté, en vous appelant fauteur des Hérétiques ; votre Sainteté m’a parue si sensiblement touchée de tous ces reproches, qu’effectivement, je ne me suis pu empêcher de blâmer la conduite del figlio mio. Cependant, o ! li scandale, ô ! l’escandale, votre Sainteté avoue elle-même qu’elle a entretenu commerce avec les Hérétiques.
Per Dio ! Si votre Eminence à bien fait réflexion à ce que je viens d’avancer, je suis persuadé, que bien loin 146 qu’elle blâme ma conduite à cet égard, elle la louera ; je lui ai dit que ce qui m’avait porté à en agir ainsi, était l’état déplorable auquel le fils aîné de l’Eglise avait réduit la Chrétienté, et l’impuissance dans laquelle se trouvaient pour lors tous les Princes Chrétiens, particulièrement la Maison d’Autriche, qui a été de tout temps le plus ferme appui, et le plus puissant rempart de la Religion Romaine. Ce Prince che fa cose grandi, qui ravageait tout, et qui comme un furieux, et un enragé la torche ardente d’une main, et l’épée nuë de l’autre, remplissait toute l’Europe Chrétienne de sang et de carnage, ordonnant à ses Armées, et à ses Généraux de ne pas même épargner les Lieux Saints, et Sacrés, chassant les Prêtres des Églises, les Religieux et les Religieuses de leurs saintes Solitudes, réduisant en cendres les Palais et les Maisons Royales des plus grands Princes de l’Europe, faisant brûler les Villages, les Bourgs et les *Villes entières de plusieurs Provinces, déterrer les morts et les tirer des monuments pour exposer *Les incendies du Palatinat 147 leurs cadavres à la voirie, afin qu’ils devinssent la proie des corbeaux, s’alliant avec les Infidèles pour ruiner l’Empire, menaçant le St. Siège de porter la guerre en Italie, si je refusais de lui obéir, d’approuver toutes ses cruautés, menaçant la Cour de Rome de faire un Schisme, et de se séparer de l’Eglise Romaine, si je luis disputais les Franchises des quartiers, les droits de la Régale, et mes Brefs concernant l’Election des Évêques qui lui étaient dévoués, faisant prononcer des Arrêts à ses Cours de Parlement contre mes Décrets, me faisant dire par ses Ambassadeurs qu’il ferait assembler un nouveau Concile, et me chargeant d’outrage aussi injurieux à ma réputation et à ma conduite, qui a été grâce à dieu irréprochable, que si j’avais été un monstre dans l’Eglise, comme un Jean XII ou un Antipape, ou pour le moins aussi méchant que le furent les Silvestres, Jena, Grégoire, Boniface, Jules, Alexandre, et les Sixtes, lesquels souvent ont mis la Chrétienté à feu et à sang. Après cela, je demande à votre Eminence, 148 si j’ai eu tort d’approuver l’union des Princes Protestants avec les Catholiques, pour former une Puissance qui fut capable de ranger à la raison le fils aîné de l’Eglise ; puisque c’était l’unique ressource qui restait à la Chrétienté pour prévenir sa totale ruine.
Cela étant ainsi, la conduite de votre Sainteté, a été en quelque manière excusable.
Senza dubbio, il testimonio di tutti li Christiani, en fait foi, et je n’avance rien qui ne soit généralement connu de toute la Chrétienté.
Ma Santissimo Padre Odescalchy, votre Sainteté me permettra de lui dire encore, que j’ai de la peine à comprendre, qu’elle fasse tant du bruit de l’alliance du Roi T.C. avec le Sultan Empereur des Turcs ; qu’elle ne saurait souffrir, dis-je, que le fils aîné de l’Eglise ait entretenu une étroite correspondance avec les Infidèles, et que cependant elle prétende qu’on approuve les liaisons, qu’elle a eu avec les Princes 149 Protestants, qui sont pour le moins autant Hérétiques que les Turcs sont Infidèles, les uns et les autres sont ennemis mortels, et irréconciliables du St. Siège. Ainsi si votre Sainteté a eu droit pour les Intérêts de l’Eglise, d’avoir recours à ceux là, il me semble que le Roi T.C. n’en a pas eu moins, de rechercher l’appui de ceux-ci, pour se conserver au haut degré d’élévation où il est parvenu. Si la bonne politique approuve l’un, elle ne doit pas condamner l’autre, ce sont des raisons d’intérêt qui vous ont fait agir l’un et l’autre.
Nò Signore Mazarino. Il y a bien de la différence, entre s’allier, avec les Princes Protestants, ou les Musulmans ; les premiers sont nos frères, et portent le nom de Chrétiens aussi bien que nous ; Je n’entre point ici dans la discussion des différents, qui les ont porté à se séparer de nous, ils n’en sont pas pour cela moins Chrétiens, et l’Eglise les reconnaît pour tels, de sorte qu’il n’y a que le nom de Romain qui nous distingue d’eux : Au lieu que les Turcs sont des Infidèles, des Idolâtres, les 150 mortels ennemis du Christianisme, et le fléau de l’Eglise. De sorte que les motifs qui m’ont porté à exhorter la Maison d’Autriche, l’Empereur, et le Roi Catholique, à ne faire point scrupule de s’unir avec les Princes Protestants, n’ont point eu d’autre fondement que d’affermir par là la Paix de l’Eglise ; outre que je me flattais dans la suite, que s’il plaisait à Dieu de bénir les Armes des Princes Catholiques, et de les rendre assez puissants pour se pouvoir passer des Protestants, nous aurions pu les ramener au giron de l’Eglise, par la douceur, ou par la force ; mais ce n’est pas là l’ouvrage d’un jour. Au lieu que les principes qui ont fait agir le fils aîné de l’Eglise, n’ont été fondé que sur l’ambition, et le désir insatiable de régner seul dans le monde, et de sacrifier pour cela le repos de l’Eglise ; rendre toute la Chrétienté esclave et tributaire du Turc, et faire enfin qu’au lieu de l’Evangile de Jésus Christ, on ne prêchât plus dans l’Europe Chrétienne, que l’Alcoran d’un Imposteur Mahomet, ô ! Dio cosa ontosa, ô ! Dieu qu’elle honte ; ma quelle vergogna per lo figlio 151 volo maggiore de la chiesa ; mais encore qu’elle plus grande honte pour un fils aîné de l’Église.
Ma piano, Santissimo Padre, piano ; que dira votre Sainteté, quand on lui fera voir, che il Re Christianissimo figlio mio, n’a point eu d’autre bu, en recherchant l’alliance des Mahométans, que celui de l’agrandissement de la Chrétienté, et la conversion de ces Infidèles.
O ! la cosa miracolosa ; ma come questo ? mais comment cela ?
St. Père je m’en vais vous l’expliquer. En premier lieu je conviens avec votre Sainteté, que le but du fils aîné de l’Eglise était de se rendre maitre de l’Empire, de se faire couronner Empereur d’Occident, et le Dauphin son fils Roi des Romains, lorsqu’il a appelé les Turcs en Hongrie ; je n’entre point dans le détail des droits qu’il a à la succession de la Couronne Impériale, comme Successeur de Charlemagne, qu’il prétend lui avoir été injustement ravie par la Maison d’Autriche, cela 152 serait trop long. Je dis donc que le Roi T.C. ayant porté les Ottomans par un coup de politique, aussi hardi qu’admirable à rompre la Trêve avec l’Empereur Leopold, et ces Infidèles étant entrés dans l’Empire avec toutes leurs forces, ainsi que votre Sainteté m’en a fait le récit, le but du Roi T.C. était de leur laisser conquérir toute l’Allemagne, et de se tenir cependant sur le Rhin, avec toutes ses forces composées de bonnes Troupes fraiches, pour tomber dessus les Ottomans, quelque bon semblant qu’il fit d’être leur Allié, et de les rechasser de l’Empire dans le temps qu’ils auraient été épuisés, et fatigués, ce qu’il aurait pu exécuter avec beaucoup de facilité. Supposons donc que la fortune eut favorisé ses dessines, et que la chose fut arrivée comme il le souhaitait ; qui doute après cela, qu’il ne fut marché lui-même, après s’être fait couronner Empereur, à la tête d’une formidable Armée, jusques aux portes de Constantinople ; et qu’après avoir soumis à son obéissance les Etats du Grand Seigneur, il n’eut forcé les Infidèles d’embrasser le 153 Christianisme, avec autant de facilité et de succès, qu’il avait forcé les Huguenots de son Royaume d’abjurer leur Hérésie. Ainsi combien de millions d’Ames n’aurait-il pas sauvées, et de combien de millions d’Or n’aurait-il pas augmenté les revenus, et les richesses de l’Eglise ? Après cela votre Sainteté n’aurait-elle pas eu sujet de seconder des si glorieuses et si saintes entreprises, à l’exemple de ses Prédécesseurs qui ont canonisé un Saint Louis, pour avoir été le Chef des Croisades, qui ont fait la guerre de son temps à cet Ennemi commun des Chrétiens.
Nò Signore Mazarino. Vous conviendrez toujours avec moi, que si l’événement avait répondu au but qu’avait ce Prince, l’Empereur et les Membres de l’Empire, auraient été les premières victimes de son ambition ; quand à l’autre raison que vous avancez, que le but de ce Monarque, était de tromper les Mahométans par cette diversion, pour épuiser les forces qui les rendent si puissants, et si redoutables aux Princes Chrétiens, afin que la conquête 154 de leur Etats lui fit moins de la peine, et qu’il put en après les ranger à l’obéissance de la Religion Romaine, c’est ce que je ne crois pas ; nous connaissons de longue main les ruses du fils aîné de l’Eglise, et il y a plus de l’apparence que son but était d’asservir toute l’Allemagne, en se servant du Turc, que de croire qu’il n’avait en vue que l’agrandissement du règne de Jésus Christ et de l’Eglise.
Je ne dispute pas à votre Sainteté, que l’Empereur n’eut perdu la Couronne Impériale, et les Membres de l’Empire leur liberté, cela ne se pouvait pas autrement ; mais son principal but était la conversion des Infidèles. [TOUTE CETTE PARTIE « PRO » LXIV]
Et que seraient devenus après cela ces pauvres Princes ?
Les Vassaux du Monarque Universel.
C’est à dire de Princes Souverains et indépendants, les Esclaves, et les sujets du Roi T.C. 155
Si Santissimo Padre, senza dubbio.
Per Dio ! Il sera donc permis à un Monarque, qui ne consulte que son ambition, de mettre toute la Chrétienté à feu et à sang, de chasser des Princes Souverains de leurs Etats, de détrôner des Empereurs Chrétiens, sous le prétexte spécieux de n’avoir pour but que la conversion des Infidèles ? Si le fils aîné de l’Eglise avait été capable de suivre le sage conseil de l’Auteur, qui a écrit des Rois de Babylone, nous le lui aurions donné dans une semblable conjoncture : Cet Histoire parle d’un certain Roi nommé Altadas, lequel suivant les paroles de Sleidan, qui en parle aussi dans son Histoire des quatre Empires. *Estimait que « c’était une chose vaine, et inutile à un Roi de se fatiguer par mille et mille travaux, et de s’embrasser l’esprit de divers soins, pour *Qui vanum esse ducebat multi fatigri laboribus, et varis implicare curis amplificandi regni causa, quando quidem cares ad nullam hom. num salutem, et utilitatem fed ad detrimentum potius atque servitutem populu pertineret. lib. I. de quatuor imperiis. 156 agrandir son Royaume, vu que cela ne contribuait en rien au salut et à l’utilité des hommes ; mais au contraire ne servait qu’à les ruiner, et à les rendre Serfs et Esclaves. » Nous pourrions ajouter à ces paroles, que la Chrétienté se serait bien passé de tous les soins, et de toutes les peines que ce Prince, s’est données jusques à présent, pour réunir au giron de l’Eglise tant de millions d’âmes hérétiques, et infidèles, dont il se vante.
Les Princes ne sont pas dignes de régner quand ils ne se distinguent pas du reste des hommes, par l’ambition et le désir insatiable de s’agrandir, qui doit être l’aiguillon qui les doit exciter à la vertu et à la gloire, sans quoi ils sont des flambeaux sans lumière dans le monde ; de sorte qu’il est permis à un Monarque de sacrifier tout à cette passion, qui doit être leur favorite, et inséparable des Princes magnanimes.
Nò Signore Mazarino, voi andare vagando quà et là ; vos maximes sont fausses ; et je ne suis point surpris si 157 le fils aîné de l’Eglise, à qui vous les avez apprises dès sa plus tendre jeunesse donne aujourd’hui tant de peine à la Chrétienté. Platine nous fait une peinture bien différente de la vôtre des, vertus qui doivent briller dans la conduite des sages Princes, lorsque parlant de l’Empereur Antonin le Pieux il luit donne entre autres éloges celui-ci ; * « Qu’il avait recherché la gloire dans la guerre avec telle modération, qu’il s’étudiait plutôt à défendre ses Provinces qu’à les augmenter ; ajoutant encore, que cet Empereur avait souvent en la bouche ce mot notable de *Scipion, qui doit être souvent repeté à un Roi : qu’il aimait mieux conserver un Citoyen, que de perdre mille ennemis. »
Si un Prince prêtent de se borner dans l’étendue de ses Etats, et qu’il n’entreprenne rien pendant son règne, qu’elle estime fera-t-on de lui ; ne sera-t-il pas considéré dans le *In vita S. Hygini Pontif X. + Malle se unum civem servare, quam mille hostes occidre 158 monde comme un lâche, et plutôt digne d’être mis au rang des Rois Fainéants dont l’histoire parle avec tant de mépris, qu’au rang des Princes vertueux et vaillants qui ont relevé la gloire de la Monarchie Française, et qui ont été l’admiration de leur siècle par leurs belles actions.
Nò Signore Mazarino ; témoin ce que le savant *Erasme nous dit dans son institution du Prince Chrétien. « Que c’est une erreur qui s’est glissée par mi plusieurs Princes du temps passé, de croire qu’ils devaient faire tous leurs efforts pour agrandir les limites de lieurs Etats, plutôt que de travailler à les rendre florissants, quoi qu’il soit arrivé bien souvent, que pensant gagner ce qu’ils n’avaient pas ils ont perdu ce qu’ils avaient. Ce n’est pas sans raison ajoute-t-il que l’on a tant loué la parole de Théopompe, disant qu’il ne lui importait pas, de laisser à ses enfants un Empire de grande étendue pourvu qu’il le laissât en bon état et *Cap. Prenuit. de princip. occupat. in pacto. 159 bien assuré. Et il me semble que ce proverbe Laconien, qui ordonna à celui à qui est échue Sparte, d’embellir Sparte, mériterait d’être mis pour devise dans tous les Etendards des Princes. » Voilà des instructions pour les Souverains, et les Monarques de la terre, bien différentes de celles que vous avez données au fils aîné de l’Eglise
Per dicere in brève ; quoiqu’il en soit pour abréger, je prie votre Sainteté de vouloir au fils aîné de vouloir continuer le récit des autres événements.
Pour continuer le récit des choses qui se sont passées del miò tempo je vous dirai + Che lo figliovolo maggiore de la Chiesa avait tellement rempli le monde du bruit de ses actions ou plutôt de ses brigandages, ainsi que je vous l’ai raconté, que la plupart des Monarques les plus éloignés, Chrétiens, ou Infidèles lui envoyèrent des Ambassadeurs extraordinaires, pour le connaître. Et le considérant en effet comme un + Fils aîné de l’Eglise 160 Prince qui passait pour le Jupiter de son siècle, et celui de tous les Monarques de la Terre qui faisait le plus parler de lui, ils étaient dans la pensée qu’ils ne se pouvaient passer de sa protection et de sa bienveillance, imitant en ce cas les Indiens Idolâtres qui rendent leurs hommages au Démon, par la crainte qu’ils ont qu’il ne leur fasse du mal, et qu’il ne les maltraite. De sorte qu’on vit arriver en France plusieurs Ambassadeurs du Grand Duc de Moscovie, du Roi de Maroc, et du Roi de Siam.
Comment, du Roi de Siam.
Si Signore, du Roi de Siam, et c’est une chose assez remarquable, de voir la manière dont le Roi T.C. les reçût. Les Mandarins de ce Prince ayant d’abord approché Sa Majesté, ils se prosternèrent le ventre contre terre, en témoignant par cette profonde soumission, qu’ils n’étaient pas dignes de la regarder en France, demeurant dans cet état jusques à ce que Sa Majesté leur eut fait signe de se relever. 161
Per Dio, *lo figliovolo maggiore de la Chiesa fa cose grandi. Mais encore quel était le but de toutes ces Ambassades ?
La gloire et l’ambition du fils aîné y avait la plus grande part ; quant au reste, il s’agissait encore de conclure une Alliance secrète, avec ce Prince Idolâtre pour la ruine des Hollandais, semblable à celle qui avait été conclue avec les Infidèles pour ruiner, et désoler la Maison d’Autriche et toute la Chrétienté.
Ma come questo, mais comment cela ?
La conversion de ce +Prince Idolâtre, en devait être le prétexte spécieux, comme la conversion des Turcs l’avait été des désordre arrivés dans la Chrétienté.
Mais comment était-il possible au Roi * Il faut avouer que le fils aîné de l’Eglise fait des grandes choses. +Roi de Siam. 162 T.C. d’exécuter un si grand projet ?
Par le moyen et l’entremise des Jésuites, qu’il avait envoyé dans ce Royaume quelques années auparavant, pour prendre langue, et s’insinuer dans l’esprit de ce pauvre Prince Idolâtre.
Messieurs les Jésuites rendent donc des grands services au fils aîné de l’Eglise.
Molto, fort grands, et tout passe par leurs mains à la Cour de France ; ils sont aussi les plus grands ennemis que la Cour de Rome ait aujourd’hui, la raison de cela, est que leur politique les porte à se ranger toujours du côté du plus fort, et cela fait que par un esprit de complaisance ils applaudissent à tout ce que le fils aîné de l’Eglise entreprend, ben o male, bien ou mal.
Quelle était donc la vue du Roi T.C. en se rendant Maitre du Roi de Siam ? 163
Ho ! ho ! Signore Mazarino, cose grandi. En premier lieu le but de ce Monarque, était de s’emparer des Etats du Roi de Siam, afin que par ce moyen, il eut l’occasion de reuiner le commerce des Indes Orientales des Hollandais, dans la pensé qu’après les avoir affaibli, et leur avoir ôté ces abondantes sources qui les rendent Puissantissimes, et les font dans l’Europe les Arbitres des principaux différents, qui naissent parmi les têtes couronnées, il eut plus de facilité à les ranger sous sa dure domination, et les asservir à l’esclavage sous lequel il avait déjà réduit une bonne partie de l’Europe Chrétienne ; cela est si vrai que la jalousie de ce Prince, n’a jamais regardé la puissance de cette République, qu’avec les yeux de mépris et d’envie, et dans toutes les occasions qui se sont présentées, de lui donner des marques de son ressentiment, les Hollandais ont toujours été ses premières victimes, témoin les guerres de 72. Quoiqu’il en soit ce Monarque ne saurait souffrir, que des Rebelles, comme il les appelle, 164 soient aujourd’hui assez puissants, pour tenir la balance égale entre les deux Maisons, et l’empêcher n’enfin qu’il n’opprime les autres Princes de l’Europe, qui lui sont inférieurs en puissance.
Si les liaisons que le fils aîné de l’Eglise avait contractées, avec le Roi de Siam, eussent répondu à ses belles espérances, la Hollande était donc perdue sans ressource ?
Ne dubitano ? Signore Mazarino, ma Dio sopra tutto, mais Dieu surtout. Il n’a pas cependant tenu au Roi de Siam, et à Messieurs les Jésuites, que les grands desseins du Roi T.C. n’ayant réussi, la mine était même sur le point de jouer ; mais le feu s’étant pris aux poudres, un peu trop tôt, a ruiné toutes les entreprises de notre Monarque, et enseveli sous ses ruines, tous les entreposeurs d’un si grand ouvrage ; Je veux dire qu’étant survenu une révolution inopinée, par l’élévation d’un autre Prince sur le Trône du Royaume de Siam, tous les Jésuites et les Emissaires du Roi T.C. en ont été 165 chassés, et contraint d’aller prêcher leur nouvelle morale dans les déserts du Japon, ou de la *nouvelle France.
De sorte que la mine fut évantée, à ce que dit votre Sainteté ; quoi qu’il en soit c’est toujours un grand malheur pour le Roi T.C. de n’avoir pas pu réussir dans cette entreprise. A mon ses ce projet était aussi bien concerté qu’il se puisse, et je ne ferais point scrupule de le mettre au rang des plus belles entreprises, qui ayant été formées pendant son règne. Si la fortune l’avait voulu seconder, dans une affaire d’une si grande importance, il aurait infailliblement uni les dix-sept Provinces des Pays Bas à son Domaine, et s’étant rendu Maitre de la Hollande, il aurait pu mettre sur Mer des Armées Navales de deux cents Vaisseaux de Guerre, qui l’auraient rendu la terreur et l’effroi de l’Océan, comme il l’était déjà par Terre, par la force de ses armes, par la bravoure de ses Généraux, et ses nombreuses Armées. Après cela qu’elle est la *Du Canada. 166 Puissance dans l’Europe, ou plutôt qu’elle Ligue formée de plusieurs Princes, aurait osé entreprendre de s’opposer à la rapidité de ce torrent. Il n’y avait dans toute la Chrétienté point de barrières à lui opposer, sa puissance aurait été sans bornes, et il ne serait resté à l’Europe Esclave point d’autre ressource, que celle de subir le joug que le Vainqueur lui imposait, en se soumettant à ses lois, et reconnaissant effectivement.* che lo figliovolo maggiore de la Santa Chiesa, était le Monarque Universel de toute la Chrétienté.
Piano Signore Mazarino, piano, chi va piano va sano.
Per Dio ! qui l’aurait empeché ?
Dio ; Dieu.
Io non sò ; je ne sais.
Io sò senza dubbio. J’en suis persuadé, et je n’en doute nullement.
Puo essere, peut-être. *Que le fils aîné de l’Eglise. 167
Senze puo essere, sans peut-être, l’expérience des choses qui viennent de se passer del mio tempo, font voir que je dis vrai.
Quoiqu’il en soit ce Monarque aurait donné bien de la peine à toute l’Europe.
In en a donné autant que Prince puisse jamais faire, et quand vous parcourriez les Chroniques de toutes les Monarchies, et que vous feriez un assemblage de tout ce qu’ont fait les Princes les plus remuants, et les plus magnanimes, à commencer depuis la fondation du monde, jusques à présent, je ne pense pas que tout cela fut digne d’être mis en parallèle, avec les événements qui se sont passés sous ce Règne. Mais après tant de prodiges et de merveilles, selon le monde, qu’est-ce qu’a gagné, il figlio vestro, lo Re Christianissimo ? Il a gagné, la maledittione de tutti li Nationi della Christianità, sans compter le déplaisir qu’il a eu de voir échouer le déplaisir qu’il a eu de voir échouer jusques à présent la plupart de ses desseins. Je ne saurais 168 m’empêcher de rapporter ici, ce que dit Philippes de Comines, parlant de l’Empereur des Turcs Ottoman, du Roi Louis XI son Maitre, et du Duc de Bourgogne. *Savoir qu’il vaut mieux borner son ambition, moins se travailler, et moins entreprendre, plus craindre d’offenser Dieu, en persécutant le peuple et ses voisins, par mille et milles voies cruelles, ne vaudrait-il pas mieux ; dit-il, prendre ses aises et des plaisirs honnêtes ? La Vie des Princes en seraient plus longue, les maladies en viendraient plus tard, et leur mort en serait plus regrettée, et de plus de gens, et moins désirée, et auraient moins à redouter la mort etc. Après ce sage conseil je n’ai plus rien à dire, si ce n’est q’uil aurait mieux valu au fils aîné de l’Eglise, qu’il eut laissé jouir l’Europe Chrétienne de la Paix et du repos, qu’elle avait acheté si chèrement, par la perte de tant de sang qui avait été répandu avant la conclusion du Traité des Pyrennées ; votre Eminence avait, si me semble, pris assez de soin de la gloire, et de la fortune de ce Prince, et soutenu les Intérêts de la Monarchie Fran- *V. liv. 6 en la conclusion. 169 çaise, avec assez de bonheur et de succès, pour lui donner lieu d’être satisfait du rang qu’il tenait déjà dans le monde, parmi les Princes Chrétiens, sans se mettre en tête le dessein de parvenir à une Monarchie Universelle imaginaire, par la violation des Traités.
Ce que votre Sainteté condamne, comme une faiblesse humaine, en la personne des Princes, je le considère comme une vertu héroïque et une magnanimité, qui distingue les grands Princes, de ceux qui ne sont nés que pour vivre dans l’oisiveté, et passer les plus beaux jours de leur règne, dans l’honteuse jouissance des trésor et des richesses, que Dieu leur a mis en main, pour être employés à immortaliser leur mémoire par les Conquêtes, qu’ils doivent faire sur leurs Voisins, et les victoires qu’ils devaient remporter, sur les Princes qui refusent de se soumettre aux lois du plus fort. C’est une loi naturelle, reconnue de tous les Jurisconsultes, que le plus fort est toujours en droit de se faire obéir, et de se rendre mettre des Etats qui sont à sa bienséance. 170
Nò Signore Mazarino, la cosa và ben altramente, si cela était, où en serait les petits Princes, et les Etats Souverains, qui n’ot pas assez de forces, pour se mettre à couvert des entreprises des Puissants Monarques, qui ne consultent bien souvent que l’ambition, et l’avidité d’envahir le bien d’autrui ; votre maxime n’ouvre-t-elle pas la porte au brigandage et si elle était reçue, que des Couronnes et des Sceptres, ne verrait-on pas renversées ; le plus fort ne serait-il pas le Maitre ? et où est le Prince qui pourrait désormais se dire Souverain, et jouir de la liberté ; tous les Etats de l’Europe, seraient sans doute contraints de subir l’esclavage du plus fort. Et voilà quel a été le but du fils aîné de l’Elise, et qui aurait infailliblement réussi, si on lui avait laissé faire.
Una cosa senza dubbio, Padre Odescalchy, c’est sans contredit. Mais voyons je vous prie la suite de tant de merveilles ?
Pour reprendre le fil de mon dis- 171 cours, je dirai qu’il était, si me semble, bien raisonnable, che lo figliovolo maggiore de la Santa Chiesa, après avoir fait tant de bruit dans le monde, pendant sa vie, songea à laisser à la postérité, lorsqu’il plaira à Dieu de le retirer du monde, quelque monument qui rende immortelle la mémoire de ses grandes actions, et qui soit, pour ainsi dire, une figure parlante, représentant en abrégé les prodiges, et les merveilles de sa vie et son glorieux Règne. Le Marechal de la Feuillade, que vous avez apparemment rencontre lorsqu’il a passé la Barque, étant mort depuis peu, vous aura sans doute appris que ce fut lui qui fut chargé d’un si beau dessein.
Je ne l’ai vu, ni entendu parler de lui en aucune manière.
Nò, non.
Nò, non.
Quoiqu’il en soit, ce monument était une statue pédestre de bronze, élevée sur un haut piédestal, ayant 172 derrière la renommée qui lui met sur la tête une Couronne de laurier, et à ses pieds quatre Esclaves, qui représentent les différentes Nations dont ce Monarque a triomphé.
Come io penso, comme je pense, ce monument fut placé au Louvre auprès de celui que Colbert y avait déjà fait dresser.
Nò Signore. Ce lieu n’était pas assez éclatant, ni assez auguste, il a fallu choisir une Place tente particulière, et qui pas le nom, qu’on lui a donné fit sonner bien haut les triomphes, et les victoires dont cette statue était l’emblème ; pour cet effet ce lieu a été appelé la Place des Victoires. Mais ce n’est pas là le plus bel endroit de la pièce : Il faut que votre Eminence sache encore la Cérémonie, qui fut pratiquée le jour de l’érection. La Canonisation de nos plus grands Saints à Rome, n’a jamais rien eu d’approchant, et n’est qu’un faible crayon du respect, et de la vénération que l’on rendit à cet Idole. Les peuples y accouraient en foule, et se prosternaient à ses pieds, 173 criant de toute leur force, LUDOVICO MAGNO, LO RE CHRISTIANISSMO ET SANTISSMO. Louis le grand le Roi T.C. et très Saint. Tous les Magistrats de Paris s’y rendirent en Corps : Monseigneur le Dauphin accompagné de Madame, et de tous les Princes du sang assistèrent aussi à la fête, et ce jour-là fut rendu célèbre par tout le Royaume, par les feux d’artifice et les réjouissances publiques. Je ne sais si âpres tout cela le grand Saint Louis, n’aura pas sujet d’être jaloux de tous ces honneurs. Ce grand Prince qui les a si bien mérité, et auquel ils n’ont jamais été rendus, quels reproches ne doit-il pas faire à son Successeur ? d’oser aspirer à l’immortalité, pour récompense d’avoir chagriné le Chef de l’Eglise, pendant tout le temps de mon Pontificat, de s’être allié avec les Infidèles pour désoler la Chrétienté, d’avoir violé tous les Traités de Paix, et déclaré la guerre à tous les Princes de l’Europe, par un pur principe d’ambition, et de désir insatiable de s’agrandir ; d’avoir réduit la moitié de l’Europe Chrétienne en cendres 174 par le feu infernal de ses Bombes et de ses Carcasses, d’avoir forcé les Huguenots de son Royaumes, le flambeau d’une main, et l’épée de l’autre, de rentrer dans le giron de l’Eglise ; d’avoir voulu se faire Pape lui-même dans son Royaume, et me menacer d’assembler un nouveau Concile, si je refusais de lui obéir ; O ! lo gran Santo ! Santo sopra tuti li Santi del Paradiso.
O ! la vergogna ! Je vous avoue très St. Père que ce que votre Sainteté vient de me rapporter me surprend extrêmement, et c’est l’endroit du Règne de mon fils, qui me paraît le moins supportable ; j’ai honte même pour ce Monarque, d’apprendre qu’il ait eu la faiblesse, pour vouloir qu’on lui rendit des honneurs qui ne sont dû qu’aux Dieux, ou du moins aux plus grands Saints de Paradis. Il est vrai que je ne désapprouve pas, qu’un grand Prince, qui s’est rendu recommandable par mille et mille actions héroïques, et dont le règne n’a été qu’une suite perpétuelles de Victoires et de Conquêtes, laisse à la postérité des monu- 175 ments éternels, qui conservent son nom, et sa glorieuse mémoire. Mais il faut surtout qu’il n’y ait rien dans toutes ces choses, qui égale le respect et la vénération qui n’est du qu’aux Divinités. Tous les grands Princes et les Empereurs Chrétiens en ont usé ainsi ; en ce cas votre Sainteté a toutes les raisons du monde, et je suis de son sentiment. Mais passons outre.
A propos Signore Mazarino, quel accueil a fait votre Eminence au Prince de Condé, il passa la Barque de Caron en l’année 1686. C’était votre grand ennemi, et je ne doute point que vous ne vous soyez réconciliés ensemble sur les bords de ce fleuve. En quittant le monde il faut nous dépouiller de toutes les passions mondaines, et l’Empire ténébreux ne souffre point d’esprit brouillon, ainsi faites-moi confidence, je vous prie, de la manière dont vous vous êtes embrassés.
Je vous dirai Santissmo Padre, que l’ayant trouvé au moment qu’il sortait de la barque, ma surprise fut 176 d’autant plus grande, que j’avais d’abord de la peine à le connaître, tant je le trouvai changé. Ce pauvre Prince m’embrassa d’abord, et me fit toutes les honnêtes imaginables en apparence, si le cœur y avait part, c’est ce que je ne sais pas. Après ces premiers compliments, je lui demandai à l’oreille, s’il me voulait faire la grâce de m’accorder l’honneur de son amitié, en oubliant les démêlés qui nous avaient rendus irréconciliables dans le monde. Je lui dis ensuite que cet aveu, était d’autant plus indispensable, que le Prince des Ténèbres l’ordonnait ainsi d’abord que l’on entrait dans les terres de son obéissance. Il me répondit qu’ayant à faire à un Italien, il consentait que nôtre paix se fit à l’italienne *odio che dura sempre. Je n’eus rien à lui répondre, et voilà comme nous nous séparâmes.
Si ce grand Prince avait osé ouvrir son cœur, il aurait appris sans doute à votre Eminence, bien des secrets qui me sont inconnus, et j’admire d’autant plus sa sagesse qu’il *Maine éternelle. 177 n’est point voulu entrer dans une longue conversation avec vous, bien persuadé que les reproches qu’il aurait eu à vous faire n’aurait pas manqué de l’exciter à la vengeance, ce qui l’aurait peut-être porté à tirer l’épée contre Eminence.
Per Dio. Quels reproches aurait-il donc eu à me faire ?
Molto.
Come molto, comment beaucoup ?
Si Signore Mazarino, molto. En premier lieu, que vous êtes la cause de tous les malheurs, qui affligent aujourd’hui, non seulement la France, mais encore toute la Chrétienté ; que vous avez été l’unique obstacle qui a fait qu’il n’a pas régné, à la place de Louis XIV ; que vous avez eu la *sfacciataggine de vous allier au sang Royal des Bourbons, par le mariage de votre Nièce avec le Prince de Conti son frère ; que vous êtes le plus grand di tutti li furatores della Italia, de tous les voleurs de *Impudence. 178 l’Italie, par les millions que vous avez volé à la France, et que vos mulets ont porté au-delà des Alpes ; que vous avez par là ouvert la porte au brigandage qui règne aujourd’hui parmi la Nation Française, depuis le premier Ministre jusques au dernier maltôtier, ; que vous avez enseigné *al figliovolo maggiore de la Chiesa, à ne garder ni foi, ni loi. Et molta altra cosa, indagna del Christiano, et plusieurs autres choses indignes d’un Chrétien.
Parole vane, bagatelles. Après les témoignages d’une sincère amitié, et les assurances que ce Prince me donna d’oublier le passé, le jour même que je quittait le monde, je ne doute nullement qu’il ne m’ait pardonnée de bon cœur, quand au reste s’il n’était pas satisfait de moi, je consentirais de bon cœur, si j’étais homme d’épée, que nous vidassions nos différents à la pointe de l’épée à la première rencontre ; quelque grand Capitaine qu’il soit je lui ferais voir que lo Signore Mazarino, qui a gouvernée toute la France, et triomphé des *Fils aîné de l’Eglise. 179 plus puissants Princes de l’Europe, n’a rien oublié de son habileté, ni des ruses Italiennes, qui le mettront toujours à couvert des attentats de ses Ennemis, aussi bien dans les Enfers que dans le monde.
Piano Signore Mazarino, piano. Les grands Capitaines sont partout redoutables.
Peu m’importe. Voyons la suite des événements, dont votre Sainteté s’est chargée de me faire le récit, et qui m’intéressent plus que les démêlés que j’ai avec Louis de Bourbon, Prince de Condé.
Nous passerons donc aux autres événements, puisque votre Eminence le souhaite. Le premier qui se présente à ma mémoire, et qui le fils aîné de l’Eglise compte pour le Chef d’œuvre de son Règne, est la révocation de l’Edit de Nantes, cet Arrêt de cassation fut rendu en l’année 1685. Les Cardinaux d’Estrée et de Fourbin, nous prônèrent dans ce temps-là à la Cour de Rome, le zèle du Roi leur Maitre avec beau- 180 coup d’éloquence et de serveur, et j’eus toutes les peines du monde à me délivrer de leurs importunités ; bien persuadé que j’étais, que cette grande affaire bien loin de faire du bien à l’Eglise, elle allait ouvrir la porte à des nouveaux Schismes, et à des nouvelles Hérésies. J’en fis faire des plaintes par mon Nonce au fils aîné de l’Eglise ; mais ce Prince bien loin d’écouter mes remontrances, me traita de Schismatique, et de Fauteur des Hérétiques. Nonobstant tous ces emportements, je fis réitérer une seconde fois mes plaintes, et j’ordonnai à mon Nonce de représenter à ce Monarque que l’on faisait des méchants Chrétiens par la Dragonnades ; mais tout cela fut inutile.
A propos de la Révocation de l’Édit de Nantes, je me souviens d’avoir salué en passant le pauvre Mr. le Tellier, comme il sortait de la Barque du vieux Caron. Ce bon homme me parut extrêmement content, ce qui augmenta ma surprise, parce que tous ceux qui quittent le monde sont pour l’ordinaire inquiets et fort tristes, surtout à l’approche de 181 ces sombres contrées, où l’on ne voit que des sujets de souffrance et de misère ; j’eus assez de curiosité pour lui demander d’où prévenait la joie que l’on voyait peinte sur son visage. Ce sage Chancelier me répondit d’une voix casse et enrouée, qu’après avoir frayé le chemin à un millions d’Armes, qu’il venait de réussir au giron de l’Eglise, il était mort content. Je louai son zèle, et je lui demandai en même temps, s’il était assuré que tous les Huguenots du Royaume feraient désormais profession d’être bons Catholiques Romaines ; il me répondit, que puisque c’était la volonté du Roi, il n’en doutait nullement. J’aurais souhaité d’avoir eu une plus longue conversation avec lui, dans le pensée de nous entretenir quelques moments, des affaires qui se sont passées de notre temps, principalement sous la minorité du Roi, parce que nous avions été d’une istesso tempo contemporains, et compatriotes ; et je puis dire sans vanité que nous avons eu ensemble, le maniement des plus importantes affaires du Royaume ; tous les secrets du Cabinet passaient 182 par nos mains, et nous étions pour ainsi dire les Arbitres de la paix et de la guerre. Je ne lui demandai des nouvelles du Marquis de Louvois son fils, qui était encore bien jeune quand je quittai le monde ; il me répondit qu’il l’avait laissé dans une bonne passe, et qu’il était devenu premier Ministre de Sa Majesté, qu’au reste il ne doutait point qu’il ne répondit aux espérances, qu’il avait conçues de sa fortune, principalement pour les affaires de la guerre, et pour les Négociations à quoi le Roi principalement l’employait. Après ses paroles nous nous embrassâmes pour nous quitter, et ne nous revoir peut-être jamais.
Puisque je remarque, que la description des calamités et des misères des Reformés de lFrance non voi piace, ne vous plaît pas, je passerai à d’autres différends qui m’intéressent de plus près ; et quoi que nous en ayons déjà touché quelque chose votre Eminence ne sera cependant pas fâchée d’en apprendre le détail.
Si, Santissimo Padre, si voi piace. 183
Je vous ai dit dès le commencement de notre conversation *che lo figliovolo Maggiore de la Chiesa, avait pris à tâche tout le temps de mon Pontifcat de m’inquieter et me faire tous les déplaisirs imaginables. Les différends que j’avais déjà eu avec ce Prince concernant la Régale, furent encore mis sur le tapis en l’année 1688. Je soutins les droits du S. Siège avec autant de vigueur et de constance que mon grand age me le permettait, et pour faire voir au Fils aîné de l’Eglise que je me moquais +della bravata di Franchezzi, je l’attaquai encore par des autres droits auxquels il il ne s’attendait point, je veux dire les Immunités et les Franchises des Quartiers, que je voulus ôter aux Ambassadeurs de cette fière Couronne. Par une Bulle que je fis expédier dans le mois de Mai de l’année 1688 je fis savoir à tous les Ambassadeurs, qu’aucun ne jouerait plus à l’avenir des Franchises dans Rome, non plus que dans leurs Hôtels, quelque prétexte que ce fut, *Fils aîné de l’Eglise. +Des bravades des Français. 184 sopra pena di scomunica, sous peine d’excommunication.
Piano, Santissmo Padre, piano ; votre Sainteté n’avait, s’il me semble, aucun droit de contester au fils aîné de l’Eglise des Immunités, dont ses Ambassadeurs avaient paisiblement joui sous les Pontificats de vos Prédécesseurs Innocent X, Alexandre VII, Clément IX, et Clément X.
Aspettato uno poco Signore Mazarino. Quel tort faisais-je au Roi Très Chrétien, puisque ma Bulle portait défense généralement à tous les Ministres des Princes Catholiques, qui résident à Rome ; en ce cas l’Empereur, les Rois d’Espagne, et de Portugal, etc n’étaient-ils pas en droit de se plaindre aussi bien que le Roi Très Chrétien ? Cependant tous ces Princes me firent assurer par leurs Ambassadeurs de leur soumission et de leur obéissance filiale.
Le fils aîné de l’Eglise a des droits et des Immunités que ces autres Princes n’ont pas, et la Couronne de France mérite bien, s’il me semble, 185 qu’on la distingue des autres par des prérogatives, qui lui ont été de tous temps incontestables, ainsi que je l’ai fait voir à votre Sainteté au commencement de notre conversation.
Per tutti li Santi : Lo Re Christianissmo, se dira le fils aîné de l’Eglise, se vantera même d’avoir purgé l’Eglise des Schismes, des Erreurs, et des autres Monstres qui la déchiraient, d’avoir purgé son Royaume de l’Hérésie Huguenote ; ne saurait souffrir qu’on purge Rome des abominables crimes qui s’y commettent à l’abri, et sous la protection des Franchises des Quartiers ; * qual impiedad ! quelle impiété +qual crueldad ! qu’elle Cruauté.
Pour désabuser pour une bonne fois votre Sainteté, je l’ai dit, et je le répète encore, que le Droit des Franchises et des immunités, que les Rois de France s’approprient à Rome, sont bien fondés, en ce qu’ils ne les possèdent qu’en vertu des grandes obligations, que les Souve- *Impieté en Espagnol. +Cruauté en Espangol. 186 rains Pontifes ont à cette Couronne, et c’est pour cette même raison qu’ils les ont voulu honorer des titres de Rois Très Chrétiens, et de Fils aînés de l’Eglise ; en conséquence votre Sainteté ne doit pas trouver étrange que leurs Ambassadeurs, aient des prérogatives que les autres Princes n’ont pas. Pour en être pleinement persuadé, il n’y a qu’à lire l’Histoire, qui vous apprendra que dans le septième Siècle le Pape Grégoire III ayant été attaqué par le Roi des Lombards appelé Luitprand, Charles Martel vint à son secours, et obligea Luitprand de sortir de l’Etat Ecclésiastique, où il faisait tous les ravages imaginables : dans la suite du temps Charles Martel s’étant réconcilié avec Luitprand, avait abandonné les Intérêts de la Cour de Rome, lui refusant sa protection ; Grégoire III au désespoir d’avoir perdu l’amitié de ce Prince, lui écrivit plusieurs Lettres fort sensibles, pour le prier de le vouloir affranchir de la servitude des Lombards ; ce Pontife appelait ce Prince dans ses Lettres mon très excellent fils, et lui donnait même le titre des Chré 187 tien, Grégoire III n’avait pas osé implorer l’assistance de l’Empereur Constantin Copronime, à cause des opinions hérétiques dont cet Empereur était taché, ce qui l’avait obligé de recourir à Charles Martel, qui revint pour la seconde fois à son secours, et chassa les Lombards des terres de Rome.
Je conviens de tout cela, Signore Mazarino.
Uno poco di patientia, Signore Odelscalchy.
Voyons donc la suite ?
Astolphe Roi des Lombards, s’étant rendu puissant par l’acquisition des terres, que l’Empereur possédait auparavant en Italie, se voulut encore emparer par la force des armes des Etats de l’Eglise. Etienne III Successeur d’Etienne II dans l’espérance de pouvoir fléchir Astolphe, lui envoya Paul son frère avec des préfets. Ce Prince convint enfin avec lui d’une Trêve de 40 années, mais qui ne fut pas de longue 188 durée, car l’ayant violée, il fit savoir à la Ville de Rome qu’il prétendait qu’on lui fit un tribut d’un écu sol par fête, sans quoi il réduirait Rome en cendres. Le Pape voyant que rien n’était capable d’adoucir le ressentiment d’Astolphe, eut recours à Pépin, et s’en vint lui-même en France pour lui demander sa protection. Pépin ayant été touché par les prières du Pape résolut de passer en Italie à la tête d’une puissante Armée, ce qu’il exécuta effectivement, de sorte qu’ayant défait Astolphe dans une bataille, il l’assiégea lui-même dans Pavie où il s’était refugié. Astolphe dans l’appréhension de tomber entre les mains de son Ennemi, demanda la Paix à Pépin, qui la lui accorda aux conditions que bon lui semblait. Après le retour de Pépin en France, Astolphe refusa d’exécuter le Traité qu’il avait fait avec ce Prince, et ayant remis sur pied une Armée, il entra encore dans le Patrimoine de St. Pierre, en répandant la désolation, le feu et le carnage par tout où il passait, et pour tirer vengeance des outrages que Pépin lui avait faits par la conclusion d’un 189 Traité si désavantageux, il fut assiéger la Capitale du St. Siège, en publiant qu’il mettrait tout à feu et à sang, si elle ne se rendait. Le Pape au désespoir, de se voir à veille d’être la sanglante victime de son ennemi, redoubla ses prières et fit des nouvelles instances, auprès de Pépin pour le porter à venir encore à son secours. Voici la Lettre que St. Père lui écrivit. Je vous demande ô ! Roi Très Chrétien et mon cher fils, et vous conjure comme si j’étais présent devant le Dieu vivant et le Prince des Apôtres, que vous nous protégiez promptement, afin que nous ne périssions point. Prévenez le comble de notre malheur, et secourez-nous avant que nos Ennemis se soient rendus Maitres de Rome ; et de peur que leur glaive ne perce nos cœurs, sauvez-nous avant que nous périssions. Considérez mon cher fils, qu’après Dieu les vies des Romains dépendent de vous, et que leur salut est entre vos mains. Si tous les peuples voisins qui ont eu recours à cette noble, et généreuse nation Française, et à la protection de ses Rois, en ont toujours reçu un secours favorable, et s’ils ont été sauvés par la force de 190 leurs armes, que ne doit point attendre l’Eglise de Dieu et son Peuple ? Pépin ayant donc encore passé les Mons, à la tête d’une formidable Armée, contraignit Astolphe de lever le siège de devant Rome, et après l’avoir soumis et désarmé, il l’obligea à exécuter le premier Traité, et à remettre dans le moment même l’Exarchat de Ravenne, Pentapole avec Comachio, et les autres terres dont il ‘était emparé, entre les mains du Pape Etienne III. Cela étant ainsi, votre Sainteté trouvera-t-elle étrange que les Rois Très Chrétiens s’approprient des Franchises, et des immunités dans Rome, puisqu’ils en ont été les libérateurs, et qu’ils ont délivré les Souverains Pontifes de l’oppression, et de la tyrannie des Lombards. Je passe sous silence les Charles-Magnes, les Louis les Débonnaires, et les autres Rois de France auxquels le St. Siège n’est pas moins redevable qu’à Pépin.
A votre compte, je devais donc souffrir patiemment, qu’un Henri de Beaumanoir, Marquis de Lavar- 191 din, entra dans Rome à main armée, suivi d’un grand nombre de coupe-jarets ; qu’il s’en vint, dis-je, me faire la loi ; morguer le St. Siège, et me menacer de la part du Roi son Maître dans le Vatican même ; nò, molto piu finire la vita, plutôt mourir.
Puisque c’est en vain que je m’efforce de persuader votre Sainteté que le Roi Très Chrétien, n’a rien fait dans cette rencontre, qui ne soit conforme à la Justice de sa cause, et droit qu’il avait d’en agir ainsi, elle souffrira que je l’abandonne à son opiniâtreté pour passer à d’autres événements, dont je la prie de me vouloir faire le récit.
Puisque je vois pareillement qu’il est bien difficile de guérir votre Eminence, *de lo veneno Franchezze, che rende negli gli attossicati. Nous passerons à d’autres matières, pour vous complaire.
Se piace al la vostra Santità. S’il *Du poison Français qui rend incurables ceux qui en sont atteints ; c’est à dire des maximes. 192 plaît à votre Sainteté, par là elle me délivrera de la mortelle inquiétude, que me donne le récit des plaintes si souvent réitérées, qui ne partent à proprement parler que de l’entêtement de votre Sainteté.
Le fils aîné de l’Eglise, ayant fait voir ouvertement par l’alliance qu’il venait de conclure avec la Porte Ottomane, que son but était de ruiner la Maison d’Autriche, ne songeait plus qu’à prendre ses précautions le long du Rhin, tandis que le Turc agissait puissamment d’un autre côté. Après avoir donc pris les postes les plus avantageux, et s’être emparé des meilleures Forteresses, le long de ce fleuve, avoir fait des grands amas de munitions de guerre et de bouche, il s’avisa de porter un coup à toute l’Allemagne, qui ne pouvait être que mortel, si ses desseins avaient réussi. Je veux dire que sa pensée était de se rendre Maître, par la force de ses brigues, des trois Electorats Ecclésiastiques qui sont le long du Rhin ; celui de Mayence avait déjà embrassé son parti, et remis en même temps les clés de sa Ca- 193 pitale entre les mains de ce Monarque ; l’Electeur de Trêve aussi malheureux que celui de Mayence, après avoir oublié les justes ressentiments qui le devaient rendre ennemi irréconciliable de la France, par la considération des maux passés, n’en fut pas plus sage pour cela, de sorte qu’il remit aussi les clés de son Pays à ce Princes ; il,,ne restait plus que l’Electorat de Cologne, qui devait former le dernier nœud de la chaine que le Roi T.C. avait forgée pour asservir l’Empereur, et tous les Princes de l’Empire. C’est à dire que l’esclavage et la liberté de toute la Chrétieneté, combattaient puissamment l’un contre l’autre, sans savoir encore lequel des deux devait remporter la victoire, selon toutes les apparences humaines la liberté des Princes Catholiques et Protestants était aux abois, et je puis dire qu’il ne fallait plus qu’un oui, ou un non, pour faire pencher la balance. Car le Roi T.C. s’étant même déjà emparé de Bonn, Cologne était à la veille de se rendre, si je n’avais arrêté ce coup fatal, qui devait décider de la destinée de toute l’Europe. 194
Come questo, comment cela ?
Le Roi T.C. qui avait ses desseins en vue, avait si bien pris ses mesures, qu’il était presqu’impossible qu’il ne réussi pas ; pour cet effet, il fit d’abord agir sous main le Cardinal Guillaume de Fürstenberg, et fit savoir à l’Empereur et à tous les Princes intéressés, immédiatement après la mort de l’Archevêque de Cologne, que sa volonté était de faire élire ce Cardinal pour son successeur, et qu’au reste si quelqu’une des Puissances voisines témoignait de vouloir prendre en mauvaise part cette élection, il ferait marcher ses armées pour la soutenir par la force des armes. Les démarches de la France dans cette conjoncture parurent si hardies à tous les autres Souverains, qu’ils en conçurent des justes ressentiments, et faisant réflexion que le but de cette Couronne était de faire entrer Furstemberg dans ce poste, afin de s’en emparer, comme il avait fait des Electorats de Mayence et de Trêves, ils résolurent enfin de traverser cette Election, dans la persua- 195 sion que s’ils souffraient che lo Cardinale traditore y mit le pied, il ne manquerait pas de vendre le pays de Cologne et de Liège à son protecteur, comme il lui avait déjà vendu sa Patrie, et toute l’Allemagne par ses trahisons. Voyant moi-même l’importance du péril, j’écrivis au Chapitre de Cologne et à l’Empereur qu’il n’y avait point de temps à perdre pour y remédier. Nous trouvâmes donc à propos de donner pour concurrent au Cardinal de Furstemberg le jeune Prince Clément frère de S.A.E. de Bavière.
Je conviens avec votre Sainteté, que si le Roi T.C. avait mis le pied dans Cologne, par le moyen du Cardinal de Furstemberg, a Dios lo Imperatore Leopoldo et tutti li altri Principi de la Germania. S’en était fait de l’Empereur et des autres Princes de l’Empire.
Senza difficultà, Signore Mazarino, ma Dio sopra tutto.
Cependant quand je fais réflexion sur la Jeunesse du Prince Clément 196 qui n’avait pas encore atteint l’âge de dix-sept ans, et que je considère d’ailleurs la postulation Canonique de Guillaume de Furstemberg, dont le droit était d’autant plus incontestable qu’il avait été agrée Coadjuteur par le défunt Electeur de Cologne, je ne saurais m’empêcher d’accuser votre Sainteté de partialité dans cette affaire ; elle ne saurait nier d’ailleurs que ce Cardinal n’eut été nommé par la pluralité des voix, suivant l’ancien usage, les privilèges et les libertés des Chapitres de l’Empire.
Ce sont là les raisonnements qui ont fait la matière des emportements de la France ; mais que dira votre Eminence quand je lui prouverai que la plupart des voix du Chapitre avaient été achetées, et presque tous les Chanoines corrompus par les Louis d’or que le Roi T.C. avait semés à pleines mains dans Cologne.
Nò importa, Santissmo Padre, n’importe ; je me souviens encore d’un vers de mon bon ami le Cardinal de Richelieu fort à propos sur ce sujet : 197 Signore amico, disait-il, Vous savez aussi bien que moi quels que soient nos efforts ; Que l’argent est la clé de tous les grands ressorts. Votre Sainteté devait, s’il me semble, considérer que le zèle et la piété faisaient agir le fils aîné de l’Eglise dans cette rencontre.
Come, Signore Mazarino, lo amore ardente, et la pietà, de convertir les Hollandais, comme il avait converti les Huguenots de son Royaume ?
Si Signore.
Nò Signore Mazarino, ma molto piu lo appetito de la Monarchia Universale. Non, mais dites plutôt que c’était le désir de parvenir à la Monarchie Universelle.
Quoiqu’il en soit, votre Sainteté n’avait pas plus de sujet de se déclarer pour la Maison d’Autriche, que pour celle de Bourbon, l’une et l’autre lui devaient être également chertés dans une semblable rencontre, Les Princes qui règnent dans ces deux Maisons étaient également vos 198 enfants ; de sorte que je n’ai pas de la peine à comprendre que la jalousie n’aie été en partie la cause, des entreprises que le fils aîné de l’Eglise a faites pendant son règne sur les Etats de ses voisins, et principalement sur ceux de la Maison d’Autriche, voyant que vous la supportiez, et que vous êtes tout à fait porté pour elle. La qualité de Père commun des Chrétiens vous devait obliger à tenir la balance égale, et à dispenser vos grâces sans réserve.
J’appelle Dieu à témoin de mon innocence, et je proteste que je n’ai jamais été l’agresseur. Si le Roi T.C. m’avait laissé en repos, et qu’il n’eut pas, par mille et mille attentats outragé le S. Siège, noirci ma réputation, et souillé l’Eglise par ses monstrueuses actions, il n’aurait jamais eu sujet de se plaindre de mon opiniâtreté ; bien loin de là, je l’aurais comblé des plus précieuses bénédictions, et des plus grandes richesses de l’Eglise, je lui aurais accordé généralement tout ce qu’il aurait souhaité, et je n’aurais pas aujourd’hui le cruel déplaisir d’avoir quitté 199 le monde sans lui avoir dit adieu, ni sans nous être réconciliés ensemble. MA
Il en coutera à votre Sainteté quelques années de Purgatoire, et si elle en est quitté pour cela, elle en sera quitte à bon marché.
Il est bien difficile de se pardonner l’un l’autre, quand on a été aussi grands ennemis, que nous l’avons été ; et quoique je me sois toujours attaché à combattre les faiblesses humaines, tout le temps de ma vie, cependant je suis obligé d’avouer, qu’il m’a été impossible de me dépouiller de la vengeance, et qu’à l’heure qu’il est je conserve encore une haine immortelle per lo figliovolo maggiore de la Chiesa.
Il faut que votre Sainteté me pardonne, si je lui dis que ces sentiments sont peu Chrétiens, et peu digne du Chef de l’Eglise.
Signore Mazarino, je vous ai déjà assez fait voir s’il me semble, que mon ressentiment a été très juste, et 200 j’espère que la suite de notre conversation vous le fera avouer à vous-même quelque part que vous preniez aux intérêts d’un Prince qui a été votre Élève, et auquel vous n’avez jamais donné que des principes pernicieux, sur lesquels il a bâti les plus cruels attenants de son Règne.
Il faut avouer, que je suis le plus malheureux de tous les damnés, et que tant que le monde sera, je ferai la maledittione de tutti li popoli, parce dit-on, que je suis la cause de tout ce qu’a fait le fils aîné de l’Eglise pendant son règne ; comme si je devais être responsable de tous les crimes qui se sont commis depuis environ quarante-deux ans, que j’ai quitté le monde.
Ne dubitano, Signore Mazarino ? c’est là le commun sentiment de tous les mortels ,et votre Eminence ne se lavera point de toute l’éternité, des reproches qui rendent et rendront à jamais sa mémoire odieuse.
Finissons je vous prie, ces sanglants reproches ; votre Sainteté me fait 201 mourir de déplaisir, et plus j’y songe, plus je suis accablé d’inquiétude et de tristesse, sans espérance de trouver de remède qui soulage mes cruelles souffrances. Changeons je vous prie de conversation, et voyons quelle fut la fin des affaires de Cologne.
La fin des affaires de Cologne fut telle, qu’elle faillit à faire crever de dépit +lo figlivolo maggiore de la Chiesa.
Come questo, comment cela ?
Come questo, comment cela ; en ce qu’ayant accordé une dispense d’âge au Prince Clément, il dama le pion au Cardinal de Furstemberg, et sans autre formalité il fut élu Electeur de Cologne ; ce qui faillit à jeter le pauvre *Guillaume dans le désespoir, lequel de rage et de débit se jeta dans Bonn résolu de mettre tout à feu et à sang si on ne lui rendait raison du tort qu’on lui faisait ; mais le pauvre Cardinal était bien éloigné de son +Le Fils aîné de l’Eglise. * Furstemberg 202 compte, et toute la puissance de son Protecteur ne fut pas capable de rien opérer en sa faveur, ainsi que l’expérience la fait voir.
Voilà un terrible coup pour la France ; mais voyons je vous prie, la manière dont le Roi T.C. s’en tira.
Per la Crudeltà, per lo incendio, per la rapina, et per la distruttione di tutti li popoli delle Christianità ; Par la cruauté, par les Incendies, par les ravages, et par la désolation de tous les peuples de la Chrétienté.
Gran sceleraggine. Voilà bien des crimes ; ma Come questo mais comment cela ?
Le Fils aîné de l’Eglise fit d’abord publier un Manifeste, qui était comme l’éclair qui devait précéder la foudre, dans lequel il se plaignait de ma partialité, ajoutant que s’il rompait le Trêve, ce n’était pas par l’ambition de se vouloir agrandir du côté de l’Allemagne, qui devait être le premier Théâtre de la guerre qu’il al- 203 lait déclarer, ni encore moins au dépens des Princes et des Etats Alliés de la Maison d’Autriche ; mais que son but était de s’emparer des Places frontières pour prévenir les incursions que ses Ennemis pouvaient faire dans le cœur de ses Etats. Que d’ailleurs sa Majesté pour donner des marques de la sincérité de ses intentions avait offert à touts les Princes, de faire la Paix aux mêmes conditions, que la Trêve avait été acceptée en l’année 1684 en exécution des Traités de Munster et de Nimègue conclu és années 1648 et 1678. Ce Monarque ajoutait encore qu’il était de son intérêt de commencer d’abord, par s’emparer de Phillipsburg, dans la certitude qu’il avait que l’Empereur venant à faire la paix avec les Ottomans, il ne manquerait pas de s’en servir contre la France, suivant le témoignage public qu’en avaient rendu les Ministres de la Maison d’Autriche aux Diètes de Nuremberg et d’Auxbourg, s’étant vanté que d’abord que l’Empereur aurait mis fin à la guerre de Hongrie, il porterait ses armes du côté du Rhin, et qu’une Trêve ne ferait par une assez forte barrière pour l’arrêter. 204
Ces raisons en apparence ne paraissent pas mal fondées, et si ce que le Roi Très Chrétien avance, que le but de l’Empereur était de conclure la paix du côté de la Hongrie, pour tourner ses armes vers le Rhin, est véritable, votre Sainteté ne doit pas trouver étrange que ce Monarque s’assura de ce côté-là en prenant le devant. La bonne politique nous enseigne de prévenir les maux qui nous menacent, et de chercher la ruine de nos ennemis, avant qu’ils soient en état de nous accabler par une irruption imprévue et inopinée.
Cio è *menzogna, Signore Mazarino, il n’est pas vrai, que l’Empereur songea à faire la paix avec le Turc, ce n’a jamais été son intention, et moi-même qui vous parle, je l’ai toujours porté à continuer la guerre de ce côté-là, dans l’espérance que s’il plaisait à Dieu de bénir les armes des Chrétiens dans la suite, comme il avait fait dans les commencements, nos braves Allemands iraient la Spada *Fausseté 205 in mano, le sabre à la main, arborer la croix de Jésus Christ sur Ste. Sophie. Toute la Chrétienté est témoin, que j’ai même épuisé les Trésors de l’Église pour cela, dans l’appréhension que j’avais, que les finances venant à manquer à Léopold, ce sage Empereur ne se vit enfin forcé de conclure la paix. D’ailleurs, quand il serait même vrai, que l’Empereur avait envie de finir la guerre de Hongrie, ce qui est faux, il ne s’ensuit pas de là, que son but fut de tourner ses armes, contre le fils aîné de l’Eglise ; je ne vois pas de quelle manière il aurait pu s’y prendre , âpres s’être épuisé d’hommes et d’argent, avoir perdu ses meilleurs généraux et ses meilleures Troupes ; il n’y avait pas de l’apparence, dis-je, que dans cet état, il vint attaquer le Roi T.C. qui avait des puissantes, et nombreuses Armées sur le Rhin, composées de ce cas pour le moins une dizaine d’années de repos aux Impériaux pour reprendre haleine ; de sorte que le Roi T.C. n’avait rien à craindre de ce côté-là. 206
Suivant le raisonnement de votre Sainteté, le fils aîné de l’Eglise, n’a donc agi dans cette rencontre, que par l’ambition et le désir insatiable de s’agrandir, et cela par la ruine de la Maison d’Autriche.
Si Signore Mazarinno, nò altra cosa, c’a été son but ; et principalement d’exécuter son dessein, avant la conclusion de la Paix du côté de Hongrie, et la ruine de son Allié l’Empereur des Turcs. C’était là le moyen de bientôt soumettre à son obéissance l’Empereur Léopold si Dieu, et les Princes de la Chrétienté n’étaient accourus à son secours. Qu’elle est la puissance dans le monde, qui eut pu résister à deux ennemis si terribles et si formidables ; je verse encore des larmes quand je repasse dans mon esprit, le déplaisir mortel que je ressentis à l’arrivée du Courrier qui m’apporta la nouvelle, que le fils aîné de l’Église, avait fait marcher ses Armées vers le Palatinat, ô ! quale Barbaria, ô ! quale Crudeltà et quale distruttione, per lo figlivolo maggiore de la Chesa, ô ! quelle barbarie, ô ! 207 quelle cruauté, et quels ravages, pour un Prince qui se dit le fils aîné de l’Eglise.
Je suis dans l’impatience d’apprendre, quels furent les succès des entreprises de lo figlivolo maggiore de la Chiesa dans la Palatinat.
Après la prise de l’importante Ville de Philisbourg, qui a été la première Campagine et la premier conquête del Signore Delphino figlivolo del Re Christainissmo, tout le Palatinat et le haut Rhin ne furent qu’un théâtre affreux de la cruauté, de l’inhumanité et de la barbarie de li Franchezzi, par leurs horribles ravages et leurs incendies, et depuis la naissance du monde jusques à présent, je ne pense pas qu’il se soit jamais rien vu de pareil, abhorrimento, je frémis d’horreur quand j’y songe, et qu’il soit dit, che lo fliglivolo maggiore de la Chiesa ait réduit en cendres des Villes florissantes et des Provinces entières.
Mais encore, si fallait-il che lo Re Christianissmo eut des grands sujets de ressentiment et de vengeance, pour 208 traiter l’Electeur Palatin avec tant de rigueur.
Niente Signore Mazarino ; quand ce pauvre Prince désolé s’en plaignit, lo figliovolo maggiore de la Chiesa lui fit réponse, que ce qu’il en faisait n’etait que pour demander raison des droits de sa belle-sœur Madame la Duchesse d’Orléans. N’était-ce pas là un beau sujet de ressentiment ? pour détruire tant de beaux Edifices, et de Palais anciens qui s’étaient conservés jusques à nos jours, et qui serait l’admiration di tutti li popli della Christianità.
Nò Santissmo Padre, j’avouer que le jeu n’en valait pas la chandelle.
Ma aspettato uno poco Signore ; et vous verrez bien d’autres tragédies.
Come dunque, comment donc ?
Come, le fils aîné de l’Eglise ayant en vue, comme je l’ai déjà dit à votre Eminence, de arrivare alla Monarchia Universale, avoir si bien ménagé les affaires en Angleterre per lo 209 *mezzo de los Padres Jesuitas, qu’il avait mis sur le Trône vaquant, par la mort de Charles II le Duc d’York son frère, lequel fut couronné Roi des trois Royaumes, sous le nom de Jacques II, et cet infortuné Prince s’étant mis en tête, per delectare lo figlivolo maggiore de la Chiesa de Mutare le leggi, de changer les lois pour faire plaisir au fils aîné de l’Eglise, è +trabboccato et caduto del Trono.
Per Dio, come questo, comment cela ?
Come questo ? da costui procede, che lo disgratiato Principe e trabboccato ; Il est arrivé, dis-je, que le pauvre Prince est tombé du Trône, et n autre plus sage que lui, a pris sa place.
Si piace a vi Signoria, Santissimo Padre, apprenez-moi le détail d’une si étrange révolution.
Si Signore vonlontieri, j’y consens volontiers, ma in poco di parole. Le fils aîné de l’Église, voyant donc que la fortune suivait ses pas dans *Par le moyen +S’est vu détroné. 210 toutes ses entreprises, tandis que d’autre autre côté la pauvre Europe esclave gémissait sous les pesantes chaines qu’il lui ferait porter ; et que tous les Princes de la Chrétienté, ne sachant où donner de la tête pour se mettre à couvert de sa cruelle domination, avaient enfin abandonnée leurs Etats à une malheureuse destinée, qui leur donnait déjà des présages assurés de leur ruine future. Ce Monarque dis-je, l’esprit rempli de ses prospérités voulut pousser la roue jusques au bout de la carrière, dans la confiance, que les trois Royaumes suivraient infailliblement la rapidité de ses conquêtes. Il se voyait Maître du Rhin, de l’Allemagne et des Princes de l’Empire, par l’irruption du Turc, et enfin de presque toute la Flandre, et il ne manquait plus à sa Monarchie Universelle que l’Angleterre, et les Provinces-Unies. Cependant ce n’était pas assez que de s’être rendu Maître, par ses caresses des inclinations du Roi Jacques ; il fallait encore assurer le règne de ce Prince, par une postérité qui lui fut dévouée, et qui lui donna le temps que demandait un ouvrage 211 d’une si grande importance, pour le perfectionner. Voici uno monstro, cosa fuor di natura, venuto de lo Inferno.
Come questo, Santissmo Padre, si piace, compiro vostro discorso ?
Vergogna ; j’ai honte de le dire.
Ma si piace a vi Signoria. Mais je prie votre Sainteté, compito vostre discorso, apprenez-moi ce que c’est ?
Vergogna, per tutti li Christiani, c’est une honte, dis-je, pour tous les Chrétiens.
Ma questo ; mais quoi donc ?
Supposio Principe de Galles, le Prince de Galles supposé.
Comment, le Roi Jacques a supposé un fils, pour le faire succéder à la Couronne ?
Si Signore, à la persuasion du Roi T.C. et cette supposition lui a coûté la Couronne, et causé la ruine de la 212 Religion Romaine dans les trois Royaumes.
Per Diavolo, voilà une détestable action. J’avoue, que j’ai bien appris au Roi T.C. des maximes, qui devaient contribuer à la gloire de son règne, et à l’agrandissement de la Monarchie Française ; mais jamais rien de pareil, monstruoso per lo figlivolo maggiore de la chiesa, cela est tout à fait indigne du fils aîné de l’Eglise.
Cela est cependant arrivé del mio tempo, et j’en ai appris tout le secret, et toute l’intrigue de mon Nonce, qui était pour lors à Londres, et qui aurait infailliblement été la victime du peuple irrité, si le Prince d’Orange par sa sage conduite ne l’eut empêché, dont je lui ai des grandes obligations, et conserverai à jamais la mémoire d’un si grand bien fait, parce qu’il le mérite si Prince jamais le mérita.
Per Dio ! est ce que le Prince d’Orange, qui n’était encore qu’un enfant quand j’ai quitté le monde, est 213 devenu Roi des trois Royaumes ?
Si Signore Mazarino.
O ! Maraviglia, quelle merveille ; il faut avouer que le monde est un Terrible Théâtre, où il se joue bien de Tragédies, et où il arrive bien d’étrangers révolutions.
Senza dubbio, Signore Mazarino ; et si vous en avez fait l’expérience pendant le peu de séjour que votre Eminence a fait à la Cour de France, depuis votre départ il en est arrivé un si grand nombre d’autres, principalement pendant les 16 années de mon Pontificat, que je j’aurais jamais fait, si je voulais vous les rapporter toutes les unes après les autres. Quoi qu’il en soit cette supposition, a si bien démasqué la France et découvert ses ruses, qu’elle a mis toute l’Europe en combustion, de sorte que quand je suis parti de Rome tout était en feu et en armes, et l’on ne parlait parmi les Princes Catholiques, et Protestants que de vengeance, et de ressentiment, tant ils sont en colère contre le fils aîné de l’Eglise, et 214 son Allié le pauvre Roi détrôné, qui ne sachant ou donner de la tîete, s’est enfin refugié à St. Germain, lui, la Reine son épouse, et lo pover *figlivol de putana.
Voilà des terribles affaires.
Si Signore Mazarino, per certo cose grandi, qui ont allumé dans la Chrétienté une guerre, qui ne se terminera, peut-être par le bouleversement della Monarchia Franchezze.
Come, per la distructione della Monarchia Franchezze ?
Si Signore, per la distruttione della Monarchia Franchezze.
Come questo ? comment cela ?
Parce que tous les Princes Catholiques et Protestants ont juré de ne point mettre les armes bas, qu’ils n’aient ruiné la France ; et cela est si vrai, qu’ils ont tous unanimement signé une Ligue offense et défensive, avec serment de ne point écout- *Le pauvre bâtard. 215 er de propositions de paix che lo figlivolo maggiore de la Chiesa n’ait rendu à chaque Prince ce qu’il a usurpé depuis le Traité des Pyrénées, que vous conclûtes à l’Ile des Phaisants avec Dom Louis de Haro et Dom Piementel, Plénipotentiaires d’Espagne.
Per Diavolo ! si questo è vero, voilà un terrible pas de rétrogradation que le Roi T.C. sera obligé de faire ?
Puisque ce Monarque est l’agresseur, il mérite qu’on ne lui fasse point de grâce, et qu’on lui fasse porter la peine de tous les maux qu’il a fait souffrir à la Chrétienté pendant son règne, repentimento à l’heure qu’il est, je crois qu’il n’est pas à s’en repentir.
Ma Santissimo Padre, n’en sera-t-il pas de cette ligue, comme de toutes celles qui se sont faites del mio tempo. Je veux dire, le Roi T.C. ne trouvera-t-il pas le secret de désunir les Princes qui la composent ?
Nò Signore Mazarino. Il ne s’est 216 jamais vu d’union semblable à celle-ci, et moi qui vous parle, avant que de quitter le monde, j’ai exhorté tous les Princes Catholiques de demeurer inséparablement unis avec les Princes Protestants, en se moquant des bruits che lo figlivolo maggiore de la Chiesa, affectait de répandre dans toutes les Cours ; savoir que la guerre présente était une guerre de Religion. Tant que j’ai été à Rome, cet artifice ne lui a servi de rien, par le soin que j’ai pris à détromper les Princes Catholiques, et principalement l’Empereur, qui a toujours à ses oreilles une troupe de los Padres Jesuitas, Emissaires de la France. Si piacce à Dio, j’espère que mon successeur sera animé du même zèle que moi, pour le repos de tutti li Christiani, et de tutta la Christianità ?
Mais s’il m’est permis de dire mon sentiment à cœur ouvert, n’aurait-il pas mieux valu à votre Sainteté d’avoir employé tous ses soins pour réconcilier le fils aîné de l’Eglise avec les autres Princes Chrétiens, à l’exemple de Clément VIII qui porta enfin par sa médiation Henri IV et Philippe II à mettre les armes bas 217 par la Paix de Vervin, conclue en l’année 1598. Ce sage Pontifice s’acquit par là une gloire immortelle, et fit tant par le moyen du Cardinal de Florence Alexandre de Médicis son Légat, qu’il députa à la Cour de Henri IV, de même que par le moyen du Révérend Père Frère Bonaventure Calatagitonne General de l’Ordre de St. Français, qui eut la gloire de persuader le Prince Albert, Cardinal et Archiduc d’Autriche, neveu de Philippe II, qu’enfin il donna la Paix à la Chrétienté. Une pareille conduite est, s’il me semble, bien plus convenable au Père commun des Chrétiens, que celle qu’a tenu votre Sainteté.
Nò Signore Mazarino, je l’ai dit et je le répète encore, les affaires étaient à un point, que si Dieu ne m’avait donné assez de force pour pouvoir contrarier le Fils aîné de l’Eglise, et lui faire tête, tous les autres Princes Chrétiens étaient perdus sans ressource. La Maison d’Autriche n’en pouvait plus, et la liberté des autres Princes étaient pour ainsi dire agonisante, et faisait ses 218 derniers efforts ; de sorte qu’à moins d’un prompt secours, et d’une révolution aussi miraculeuse que celle qui vient d’arriver en Angleterre, par l’élévation du Prince d’Orange sur le Trône, il était impossible de les pouvoir sauver ; et qui pis est, c’est que l’esclavage de ceux-ci aurait été suivi immanquablement de celui de tous les Princes Ultramontains, et notre pauvre Italie n’aurait pas été moins asservie à la domination Française, que les autres Etats de l’Europe. Cela étant ainsi, je considère l’union qui règne aujourd’hui entre les Princes Catholiques et les Protestants, comme un ouvrage purement de Dieu ; et ce qui me confirme d’autant plus dans cette opinion, c’est que tous les artifices dont la France s’est servi jusques à présent, pour la rompre, n’ont contribué qu’à la rendre plus étroite et plus inviolable.
Votre Sainteté est donc dans l’opinion, que cette union règnera jusques à la fin de la guerre, et que le Fils aîné de l’Eglise sera enfin contraint de succomber, et de rendre à chacun ce qui lui appartient. 219
Je n’en doute nullement, et qui plus est, j’en suis si bien persuadé que le Roi T.C. faisait déjà des offres de Paix très avantageuses avant mon départ du monde. Je sais ce que le Cardinal d’Estrée m’a dit de bouche là-dessus de la part du Roi son Maître ; mais comme je ne voyais encore que des faibles apparences selon le monde, de pouvoir ranger ce fier Monarque à la raison, parce qu’effectivement ses armes ont remporté des grands avantages dans les premières campagnes, je me persuadais qu’il n’y aurait que la longueur de la guerre, et la persévérance des Princes de la ligue, qui lui dussent faire tomber les armes de la main, ce qui arrivera infailliblement si l’on suit mes conseils, et que l’on n’écoute point de propositions de Paix que la France ne soit aux abois, et qu’elle ne soit ruinée par elle-même.
Si cela est ainsi la guerre durera longtemps selon toutes les apparences ; et si nous devons raisonner des choses à venir, par ce qui s’est passé de mon temps, l’expérience nous a 220 fait voir que la France a toujours triomphé de ses ennemis malgré leur nombre et leur opiniâtreté. Un Monarque aussi absolu dans ses Etats, que l’est le Roi T.C., qui a des armées nombreuses, des habilles Généraux pour les commander, et des sages Ministres dans le cabinet, se tirera toujours d’affaires.
Cela va le mieux du monde, Signore Mazarino ; mais comptez que lo figlivolo maggiore de la Chiesa, n’a plus des Mazarins pour premiers Ministres, qu’il a perdu d’ailleurs Jean Baptiste Colbert, cet habille forgeron, qui avait toujours en main le secret de remplir ses coffres, et de tirer de l’argent des bourses vides du peuple par des inventions diaboliques. Outre ce grand Maltôtier, le Roi T.C. a encore perdu depuis peu le Marquis de Louvois, son bras droit, et ne lui reste à présent pour le cabinet que des Ministres sans expérience. Les affaires de la guerre ne sont pas non plus dans le meilleur état du monde ; les Turennes et les Condés ne vivent plus, et la mort de ces grands Capitaines 221 doit faire verser aujourd’hui des larmes à la France, qui ne tariront jamais ; il est vrai qu’il semble que le Roi T.C. ne les regrette pas beaucoup, pourvu qu’il plaise à Dieu de lui vouloir conserver le Marechal de Luxembourg, en qui il met à présent ses plus grandes espérances ; de sorte que l’on peut dire qu’il n’y a plus que trois têtes qui règnent aujourd’hui en France, toutefois bien différentes en mérite, de celles qui ont manié les affaires de votre temps, ou depuis la mort de Colbert et de Louvois.
→ MAZARIN ?? Quelles sont donc ces trois têtes ?
Ces trois têtes sont une femme et un Jésuite, pour le cabinet, je veux dire la Marquise de Maintenon, et le R.P. la Chaise, n’est-ce pas là un beau conseil ? Pour la Guerre, il ne reste plus que le Duc de Luxembourg ; ainsi voilà les trois colonnes sur lesquelles toute la Monarchie Française se repose aujourd’hui ; que votre Eminence juge après cela des suites, et des évènements qui arriveront, si un tel gouvernement conti- 222 nue. Pour moi je suis de l’opinion, que si le fils aîné de l’Eglise ne se défait pas promptement de ces oiseaux de mauvaise augure, il n’a qu’à compter dès aujourd’hui sur la ruine inévitable de sa Monarchie, les contretemps qui viennent d’arriver lui en donner des présages assurés ; je l’ai dit et je le répète encore, ce Monarque est un grand Prince, et peut-être le plus grand que la Monarchie Française nous ait encore donné, mais le malheur veut qu’il ne saurait faire un pas qu’il ne prenne ces détestables Sirènes, qui par leur chant mélodieux lui inspirent aujourd’hui tout le mal qu’il fait à l’Europe Chrétienne. La Maintenon et le Père la Chaise forment les résolutions dans le cabinet, et le Maréchal de Luxembourg les exécute, la torche ardente d’une main, et l’épée nue de l’autre. Cela étant ainsi, je ne trouve point étrange que la moitié de l’Europe soit réduite en cendres, et que l’on ne troue dans tous les Etats voisins de la France que des tristes monuments de cruauté, de barbarie, et de désolation, piangimento ; je passe sous silence la déplorable de- 223 scription d’un nombre infini de maux, qui me font horreur, et qui sont les funestes suites d’une guerre la plus injuste qui se soit jamais faite.
C’est un pauvre conseil que celui des femmes et des Jésuites, et si la France est à présent gouvernée, par de tels esprits j’avoue qu’elle est bien mal gouvernée. Je n’ai pas oublié les peines qu’elles m’ont donné dans le temps de mon Ministère, aussi bien que les Reverendissimi Patres, que j’ai toujours taché de bannir du secret de Cours, parce qu’effectivement ils sont plus propre à gâter tout, qu’à donner des bons avis ; quoiqu’il en soit, nous n’avons jamais été bon amis ensemble quand j’étais encore au monde ; et même présentement lorsque je me promène dans ces plaines Infernales, et que je rencontre quelqu’un de ces bonnets triangulaires, je les évite autant qu’il m’est possible. Quant au Marechal de Luxembourg je n’ai ni bien, ni mal à dire de lui, je l’ai connu au monde encore bien jeune, et tout ce que j’ai jamais appris de lui, ce n’est que de la bouche du Prince 224 de Condé, sous lequel il faisait son premier apprentissage dans le métier de la guerre ; il est vrai qu’il donnait déjà dans sa jeunesse des grandes espérances, mais aussi comme il était extrêmement libertin et enclin à la débauche, cela me faisait juger, qu’il ne serait jamais qu’un imprudent et emporté Capitaine, plus propre à faire du mal que du bien. Cependant ces sortes de génies ne sont pas tout à fait à rejeter dans l’Art Militaire, et si j’en dois croire le rapport d’un grand nombre l’Officiers Français mort à la Bataille de Fleurus, et que je rencontrai dans ces plaines comme ils sortaient de la Barque du vieux Caron, j’avoue qu’il est devenu un grand Capitaine, et que la conduite qu’il tint dans cette action, ne doit rien à l’expérience consommée ni à la sage conduite des Turennes et des Condés ses premiers maîtres ; il a même cela de particulier, ajoutaient ces infortunées âmes, que rien n’est capable d’ébranler son intrépidité, et que l’on le voit l’épée à la main courir dans le champ de Mars, et s’exposer aux plus grands périls, comme le dernier de ses Soldats.
J’entends une voix qui m’appelle ; ainsi il faut nous séparer. A Dios Signore Mazarino, Dio ti salvi. FIN.